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" Oh, mon Ach', mon Achille... L'amour n'est pas abandonner quelqu'un qui a besoin de toi. Tu aurais dû me dire que ça n'allait pas, j'aurais essayé d'aider—"

" J'avais peur, j'avais peur que ça te fasse fuir, que tu aies peur de mes démons et qu'au lieu de me côtoyer pendant que je les vaincs tu partes en courant, complètement effrayé..."

Je suis adossé contre lui. On est sur son balcon, assis sous le plafond étoilé de Paris. La nuit est fraîche-limace et la Lune est ronde-théière.

" Je comprends ta peur, et jamais je ne la dénigrerai. Je ne veux pas te dire que c'est infondé. Je suis sur que si tu penses ça c'est parce qu'on t'a fait croire ça dans le passé, et je respecte— je respecte la peur que tu ressens, je respecte cette terreur qui te hante comme un grotesque fantôme. Je sais que je ne peux pas défaire des années de traumatismes, je sais que je ne peux pas défaire les milliers de peur que ton anxiété te procure. Je ne suis même pas sûr d'avoir les mots qu'il faut pour t'aider quand tu as besoin, quand tu as besoin de moi et que tu aimerais que je sois là. Alors je ne te promets pas des mots— je ne te promets pas de solutions, je ne te promets pas d'être ton sauveur. Mais je peux écouter, je peux être là, présent, ici, même si ce que je dis ou fais ne suffira peut être pas à tout résoudre. Je peux être là, t'écouter, faire en sorte que la douleur insupportable que tu traînes derrière toi comme le plus lourd des fardeaux devienne un tant soit peu moins lourd, même si au final un poids reste un poids et que tout ne sera pas mieux."

Les étoiles brillent comme les yeux des planètes. Le ciel est mauve-vanille, et la fraîcheur de l'air est citronnée.

" J'ai l'impression que ma vie est un roller-coaster en pleine vitesse. Que je ne contrôle rien, que je ne suis pas acteur mais spectateur, que j'écoute parler des mouches et des abeilles et que le vrombissement de leurs ailes couvre le son de ma propre respiration."

Ses doigts sont doux comme le printemps et sentent la cannelle et le miel. Ils sentent la tarte aux pommes et les framboises.

" J'ai l'impression que je ne prends jamais de décisions, que je subis, que je subis la rage d'un poète enivré qui écrit comme un expiatoire gratuit. Je ne suis rien que le produit d'un dieu pourri-gâté qui fait souffrir quelqu'un d'autre pour oublier sa propre souffrance."

Ses doigts seraient croquants dans ma bouche. Je me demande quel goût ils auraient.

" Et je me dis que si je vomis des mots peut être que le sens va l'accompagner, dans l'horreur verte-gluante qui en sortirait."

Peut être auraient-ils le goût de la cerise, peut être auraient-ils le goût du vice.

" Si je parle vite, peut être que le ciel va s'éventrer et laisser filtre l'acrylique de l'univers."

J'ai envie de passer ma langue sur son poignet.

" Tu me rends heureux et avec toi je me sens en sécurité. Ma peur m'aveugle et mon impression d'être le pire humain m'empêche de prendre une décision. Peut être que mes angoisses m'empêchent d'avoir l'impression d'être acteur. Peut être qu'il faut que je guérisse afin de reprendre en main ma vie."

" Tu n'as pas besoin d'être guéri pour mériter de vivre. C'est un mythe qui octroie plus de mal que de bien. Ça laisse entendre que les gens malades n'ont pas le droit au bonheur."

" Donc, si je souhaitais vivre je pourrais?"

" Rien ne t'en empêche. C'est même plutôt encouragé de mon point de vue."

" Hector, si je me tournais vers toi pour t'embrasser, tu me laisserais faire?"

Silence. Je me mords la lèvre et je maudis ma langue. Puis, je sens ses mains sur mes hanches. Je tourne ma tête, et voilà que la lune presse ses lèvres sur les miennes avec une lenteur presque délirante.

"Hector?"

Il a le goût de la cerise, du printemps, des fraises, de la chantilly vanille, de l'herbe fraichement tondue et de clafoutis. Il a le goût de crème brulée, de pains au chocolat divisé en deux, trois, quatre dans la matinée, il a le goût de l'été et du renouveau. Ses lèvres sont douces contre les miennes. Je deviens glace caramélisée.

" Achille."

" Hector?"

J'implore.

" Achille."

Il prie.

Et ses yeux deviennent pêche.
Et ses lèvres deviennent pivoine.
Et sa peau enneigée se mêle à la mienne.
Automne.
Et soudain,
Soudain,
Nos bouches forment une cerise juteuse, crevée sous un soleil médian.

AchilleWhere stories live. Discover now