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Mais l'ancien héros était un être qui, comme Achille, était plus humain que l'humanité elle même

Hérétiques (1912), Chesterton

Après avoir recraché mon coeur dans les toilettes, cheveux éparpillés comme les bras d'un épouvantail derrière moi, je m'allongeai sur les dalles frigides du sol de ma salle de bain.

24 Novembre.

J'avais les membres frigorifiés, je me liquéfierais dans la froideur de mon sol, je devenais ange dénaturé, glacé, je devenais flocons de neige, cadavre déterré.

La fatigue se déferlait sur moi en torrents, mon corps battu par la houle. Détrempé, je me laissais pleurer à même le sol cadavérique.

La porte s'ouvrît sur le soleil, ses rayons rebondissant sur ma peau, albédo poétique. Il me laissa entrer dans sa vallée, éclair de bonheur dessiné sur son visage angélique, crinière de lion rebondissant sur ses épaules de Winnie l'ourson.

Athena s'affairait derrière, mains dans une pâte enfarinée, sourire concentré, sourcils froncés. Je lui lançai un "lut" à demi-mâché, me dirigeant vers le canapé, havre de paix.

Hector me tendit un cahier relié. Carnet doré, abimé. Était-ce le temps qui l'avait malmené? Ou était-il utilisé si souvent qu'il n'avait pu échapper aux aléas de la passion, usage passionné de ses pages froissées?

Je l'ouvris, avec autant de précautions que si je tenais Le Livre de l'Humanité. Ses pages étaient couvertes d'une écriture acérée, pourtant ronde et appliquée.

Je levai les yeux vers mon poète préféré: était-ce son œuvre? Mon regard de corbeau lançait mille et une questions. Était-ce la porte vers ses autres poèmes? Vers son âme? Vers son cœur enflammé? Les mots étaient-ils sa clé de lecture?

Il sourit, comme pour répondre à mes questions, une réponse mystique, fantastique, une réponse qui me bouleversa au plus profond de mon âme.

Tes larmes durcissent ta peau et tes lèvres brisent mon armure. Amalgames de paroxysmes éclatent au sol, et tes mots glissent sur le métal de mon armure éventrée

Ses mots toquèrent aux portes de mon âme, pointant le bout de leurs nez, bouffis par le froid hivernal des cavités de mon être, mitaines enfilée sur leurs doigts arrondis.

Rendu malade par un amour sans limites,
Fiévreux, allongé sur un canapé pleins de mites,
Mythes incongrus tissés dans mes veines alors
que tu me regardes, belle oeuvre d'art, d'ors
Et déjà je suis perdu dans tes beaux yeux émeraudes,
Alors que l'amour, la peur et tes sourires me taraudent

" Hector... C'est magnifique."

D'habitude les mots nous obstruaient plus qu'ils ne nous éclairaient. D'habitude nous communiquions en regards, en touchers alcoolisés, d'habitude nous parlions le morse du cœur, d'habitude nous amorcions nos mots avec des sourires et des fleurs.

Il ne répondit rien. Il n'y avait rien à dire, rien à ajouter. Un mot aurait été de trop, un mot aurait rompu ce lien que nous venions de créer.

Nos non-dits flottaient entre nous comme des paroles à demi-prononcées.

Avais-je le droit de le regarder? En pleine journée? Même pas caché? Je le fixais de mes grands yeux, ces yeux que je haïssais plus que tout, ces yeux monstrueux qui englobaient le monde, avides de savoir, avides de voir. Il était un rayon de soleil humain, il était Apollon, chérubin, il était gâteau moelleux, chocolat fondant, pomme délicieuse. Il était feu, feu chaleureux, il était lever de soleil, il était apocalypse, il était mon serpent venimeux.

Ses yeux gris étaient posés sur moi, semblant m'aspirer. Il me regardait, dans se cacher, un vague sourire dessiné sur ses lèvres comme une esquisse à demie effacée. Avait-il peur, lui aussi? Avait-il peur que nos regards, que nos mains nous trahissent?

Quel nous?

Aimait-il les hommes, Apollon? Pensait-il que j'étais un ami tactile? Un vilain prédateur? Avait-il peur? De moi? De lui? De ses pensées? De nous?

Je refermais le carnet, yeux embués.

Trop de pensées.

AchilleWhere stories live. Discover now