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Achille.

Prénom choisi par mes parents fanatiques de la mythologie. Prénom qui semblait à la fois me fuir et me définir. Prénom polysémique:

Achille, guerrier.
Achille, colérique.

Achille, humain.
Achille, dieu.
Achille, curieux.

Achille, passionné,

Achille Tatius,

Achille Chavée,

Achille Zavatta,

Achille Talon.

Je n'ai pas d'identité propre. Je ne me reconnais pas dans le héros antique, je me reconnais à la limite dans Zavatta, le clown. Je suis un humain meurtri, si meurtri qu'il ne sait comment se dessiner dans la vie de tous les jours. Je suis à peine humain, je me sens plus monstre, plus alien, plus autre que cela. Je ne sais pas qui je suis, je hurle dans le vide, je crie sur des entités qui me renvoient mes cris.

Pathétique, elles me disent, tu es pathétique.

Je ne sais pas qui je suis et je traine ce fardeau derrière moi, valise trop lourde qui ne passera pas la douane. Je dois rester là, assis sur une valise dont dépassent les chemises, à attendre qu'on vienne me chercher, avant de rentrer, penaud, dans une maison trop froide.

J'aimerais que l'amour d'Hector me guérisse, que mes tares disparaissent comme dans les contes— l'amour, le bisous magique, tout ça. C'était censé se résoudre au gré de ses baisers, au gré de ses caresses, j'étais censé guérir et ne plus être un raté.

Mais je savais au fond de moi que je resterais probablement éternellement cette coquille éventrée, que je ne me transformerais jamais en prince, que je ne parviendrais jamais à m'humaniser. Je resterais monstre déformé.


Il restait seulement un jour à l'année. Demain, nous débuterions une nouvelle ère, demain, collègues et camarades souhaiteraient santé et bonheur à qui voulait l'entendre. Litanies idiotes qui ne présageaient rien, sauf de la déception.

Aujourd'hui, Hector travaillait. J'étais en congé. Au lieu de rester à m'apitoyer chez moi, je me baladais aux Buttes-Chaumont. Le parc me paraissait moche sans mon soleil. Il avait perdu de sa valeur romantique. Il me paraissait gris, terne, rabougri, dépourvu de la douce lumière du soleil amoureux.

Je m'assis dans l'herbe glaciale, froid mordant mes chevilles. J'avais amené un carnet, un stylo, et une âme prête à vomir des mots. J'étais prêt. Prêt à écrire ma douleur, mes peurs, mes angoisses, prêt à créer de l'art de ma souffrance éternelle, prêt à façonner quelque chose dont je pourrais être fier, ou qui du moins m'aurait permis d'expier toute cette haine que je portais au fond de moi.

Poèmes sur poèmes, écrits sur écrits. Ils ne rivalisaient pas avec ceux d'Hector, qui écrivait magnifiquement bien, qui avait l'art des mots dans le sang. Mais ils me faisaient me sentir mieux, plus léger, plus vide. Je ne sais pas si ce vide était positif, mais tout changement était bienvenu, j'étais si fatigué de la routine.

J'écrivis jusqu'à ce que mon poignet me lance, page sur page, page sur page, sans m'arrêter. Je remplis le carnet de ma hargne, de ma haine, de toutes les choses que je voulais hurler. Puis, j'enfouis le carnet dans mon sac et je rentrais chez moi.


Café fumant pour apaiser mes tremblements, doigts osseux enroulés comme une écharpe autour de la tasse brûlante, angoisse apaisée par l'expiation de mes péchés.

Achille, Achille, Achille, artiste mourant, colérique Achille.

AchilleМесто, где живут истории. Откройте их для себя