Il condensera tout ce qu'il imite,

L'infini lui-même en quelques mots brefs.
Il sculpta jadis la mer sans limite
Sur un bouclier aux vivants reliefs :

Disque où le héros du divin Homère
Montrait à la fois la terre et les cieux,
Et, fils de Thétis, les flots de sa mère
Roulant tout autour leurs plis spacieux !

Le bouclier d'Achille — Joseph Autran, 1859


Je ne dors pas. Est-ce la menace de la nouvelle année? Est-ce la peur d'affronter la réalité? La réalité de ma douleur, dessinée, décuplée à travers des songes incontrôlés? J'ai peur, j'ai peur. Il faut faire face à ma vie désastreuse, je n'ai d'amis que ceux de mon mec, je suis seul, esseulé, je suis sans-abris d'amitié, j'attends un refuge que je ne trouverais pas, je reste coincé dans la froideur éternelle de mon appartement, refusant les soins alors que je saigne à en mourir.

Je n'ai pas de boucliers pour me défendre du monde qui m'entoure. Pourtant je tremble devant des ombres et je hurle devant le spectre de mon reflet, je ne sais accepter qui je suis sans renier ma monstruosité omnipotente. Je me hais, je me hais, je ne peux aimer ma masse informe alors que la masse amorphe de ma brioche et moi me plait plus que tous paradis artificiels et naturels qui soient.

Monde injuste, injuste labeur, je hais et j'aime sans oser taire mes peurs.

Qui suis-je? Suis-je un mirage éventré? Suis-je un usage détesté?





Il apparait comme un sauveur que je ne peux ignorer. Mais je ne veux lui ouvrir la porte de ma cave assombrie. Je veux hurler, pleurer, crever, peut être?

"Qu'est ce que tu fais là?"

Il ne me sauve pas. C'est une illusion.

" Je voulais te souhaiter bonnes fêtes."

" T'aurais pu envoyer un message."

Thomas. Mon ancien Helios, mon ancien Patrocle. Mon amour farouchement toxique, passionnément grotesque.

" Je savais que t'aurais pas répondu."

" Alors pourquoi t'es venu, si tu sais que je veux pas entendre parler de toi?"

Il hausse les épaules.

" Tu peux me faire entrer? Il fait froid."

Il fait froid chez moi aussi. Mais je le laisse faire. Il s'assoit au comptoir. Machinalement, je lui sers un café. Mes mains tremblent.

" Fred te passe le bonjour."

Je souris nerveusement.

" Pourquoi t'es venu, sérieux? Pourquoi tu continues de réouvrir des plaies? On peut pas guérir tous les deux si tu continues de te pointer chez moi comme ça."

Son visage d'ange déchu me parait presque inconnu.

" Je voulais voir si ton nouveau don juan te comble."

Je te hais.

" Il te comblera toujours moins que moi."

J'ai envie de le frapper.

" Pourquoi tu continues d'essayer de réclamer une place dans ma vie, Thomas?"

" Parce que je la mérite cette place. Elle m'appartient. Parce que même si tu essayes de me remplacer, je suis l'amour de ta vie. Tu peux pas m'effacer, tu peux pas m'ignorer, je suis là, je te boufferais, je t'emplirais même quand tu continueras de t'évertuer à prétendre que j'existe pas."

" T'es un parasite, Tom. Rien de plus."

Il boit son café, doucement.

" Quand je suis parti, tu étais un gamin trop accroché à moi. Trop aimant, trop collant, je pouvais pas respirer et j'en pouvais plus. T'as grandi. On a grandi."

" Tu aimes le contrôle et tu regrettes de voir que je n'ai plus besoin de toi."

" Non. Je sais juste reconnaître qui restera dans ma vie. Que je l'aime ou non."

" Tom. Putain. Arrête. Arrête de revenir, arrête d'essayer de t'immiscer là où tu n'es plus censé être. Laisse moi tranquille. Laisse moi vivre. J'en peux plus, j'en peux plus, j'veux plus de toi, j'en ai marre, putain. Je suis amoureux. Pas de toi, pas de ta merde, pas de tes manigances de merde. Je suis heureux, j'ai une nouvelle vie, je me suis repris en main et ça putain qu'est ce que tu en ai jaloux, tu aurais aimé que l'adulte que je suis ai été celui que j'étais avec toi, mais j'étais déjà presque ça, et si tu m'avais réellement aimé t'aurais grandi avec moi."

" Tu seras toujours amoureux de moi, Achille. Quand ouvriras-tu enfin les yeux?"

AchilleWhere stories live. Discover now