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J'suis assis dans le noir, une clope au bec et un verre de vin rouge dégueulasse à la main. Il est assis devant moi. On attend dans le silence, comme si cela allait changer quelque chose. Dans quelques secondes la dernière bataille de Troie va s'enclencher, et un de nous va brûler. S'écraser.

Il tire une longue taffe de sa propre cigarette, expiant la fumée de sa bouche comme il recrache ses péchés devant le prêtre. Je regarde les volutes s'envoler. J'ai l'impression d'y avoir laissé des traces. Pourtant c'est ses poumons qui s'embrasent.

"T'étais où?" il demande, comme si j'avais des amis, comme si j'avais quelque part où aller. Il sait, on sait, nous savons, cela ne sert à rien de dégainer immédiatement les crocs.

" Chez Hector."

" Donc j'te demande en mariage, t'as besoin de réfléchir, et tu vas réfléchir chez ton ex, c'est ça?"

" C'est mon ami, Thomas."

" T'as couché avec lui?"

Je sens le problème. Je sens le vieux lui, celui qui me répugne, qui ressort comme un monstre affamé, un monstre qui vient de se réveiller.

" Non, mon coeur, on a juste discuté, je te tromperais jamais—"

" T'as couché avec. J'espère qu'il t'a bien baisé, au moins, parce que là tu me dégoutes."

" Mais c'est quoi ton problème, là, au juste? J'suis allé chez un pote, il s'est rien passé, pourquoi tu me sautes dessus comme ça? Tout va bien entre nous, Thomas, tout va bien, rien n'a changé."

" Non. Tout a changé. Je sais pas ce qu'il s'est passé, je sais pas ce qu'il t'a dit, mais dès que tu es entré j'ai su. Y'a un truc. Y'a un truc et ça me débecte."

" Thomas s'il te plaît—"

" Je suis désolé. Je suis désolé. Je ne voulais pas— Je suis désolé. Je sais que je réagis de trop. Pardon. Je te crois. Il ne s'est rien passé. D'accord. C'est juste, tu sais, avec lui, enfin, il s'est passé tellement de choses entre vous que j'ai du mal à concevoir une entrevue platonique, tu comprends?"

" Je comprends."

" Pardon. Est-ce-qu'on peut recommencer?"

Je descends mon verre de rouge, je tire sur ma cigarette. Je me sens nauséeux, je crois que la panique me monte à la tête. J'ai chaud, je veux partir, mais je suis chez moi, je n'ai nul part où aller. Je veux prendre l'air, me changer les idées, mais là est l'heure de parler.

" Bien sûr."

Pause. On remet les idées en place, on se remet en face à face.

" Tu trembles." il fait remarquer

" J'suis anxieux."

" T'as un truc à me dire?"

J'ai l'impression qu'il me connait par coeur mais sans réellement me connaitre. Je ne sais pas pourquoi ma vision des gens est aussi malléable. Hier c'était l'homme de ma vie et aujourd'hui il me dégoute.

"Oui."

" Dis le, alors."

" Je pense— enfin— je sais pas comment dire les choses, Tom, donne moi trois secondes— Okay."

" Pas de soucis."

Je me lève, j'écrase ma clope dans le cendrier, j'attrape la bouteille de rouge et je me ressers un verre que je m'empresse d'avaler. Le goût me reste dans la gorge, j'ai envie de le recracher. Je me rassois, sur la chaise, face à lui. Dans la pénombre je ne le vois pas bien. Ses yeux prédateurs, sa bouche, son nez. J'ai envie de le toucher, je n'ai pas envie de parler, j'ai envie qu'il me prenne contre un mur et qu'il me fasse penser à autre chose. Mais je ne peux pas, il faut qu'on parle, il faut que je parle.

AchilleNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ