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Ses rayons de soleil se déplient et m'englobent. Ma peau semble s'éclaircir à en devenir translucide sous son regard. Il peut lire mon âme sous ma peau, il peut voir mon cœur et mes os.

Il est tard.

Lyrisme alcoolisé et bafouillages intériorisés. Cafouillages.

Son visage d'Apollon me transporte plus haut que la liqueur, mon cœur sur ma manche battant au rythme de mes peurs. Anxiogène alcool d'Apollinaire, je m'accroche à ses mains, à ses bras, à ses poignées, rivière de toucher. Il me tient, demi-mots de secrets avoués.

Je suis à peine conscient de la réalité, poésie redessine les contours de la vérité, sa peau semble luire, dorée, phare de sécurité dans la nuit-tempête, champêtre malheur, champignons de bonheur, houle de terreur, vagues blanchâtres, nuages grisâtres. Ma personne s'efface, traits effacés par des vers devancés, romancés. Ma prose se métamorphose, lyrisme de la modernité .
Il est beau et grand, même dans la faible clarté du minuit égaré. Il est tard, ma rationalité est fatiguée, je deviens disproportionné. J'ai envie de lui tenir la main, mais il est trop tôt pour que mon irrationalité devienne folie imbibée.

Je crois que j'aime souffrir. Je crois que l'attraction perverse de la douleur m'emmène dans des aventures arrosées de liqueur, où mains et lèvres s'effleurent mais sans jamais se toucher, sans jamais réellement se rencontrer.

J'ai envie de lui crier dessus, de lui hurler ma peine, de lui jeter mon coeur dans la gueule et lui montrer les torsions de mon âme. Ne vois-tu pas que tu me rends fou à lier? Ne vois-tu pas que tu me contorsionne, habile acrobate, entre tes doigts voluptés?

Je pense que j'avais perdu la raison entre le quatrième et le sixième shot. Je crois que j'étais arraché, à des kilomètres de la sobriété, que j'étais complètement pété, que jamais je n'aurais pu être un tant soit peu rationnel. Alors, philosophe des lumières, je t'ai demandé de m'éclairer. Tes lèvres m'ont chatouillé, j'ai ris, un rire jaune démesuré, je t'ai appelé, du bout des lèvres, d'abord, à demi-mot, comme si je ne pouvais m'amener à prononcer ton nom. Hec. Mec. Ton prénom me paraissait presque salace, incroyablement choquant, que penserais la bourgeoisie bien pensante du parisien vingt et unième?

Humilié dans mon humilité, lèvres abimées, souffles entremêlés, poumons comprimés, coeur lové dans le creux de ma gorge serrée, je te tenais du bout des cils, je te touchais du bout des doigts, brûlant, fiévreux, au bord de la misère des Enfers, orteils dans l'eau bouillante du danger.

Embrasse-moi.

Je l'ai murmuré comme un blasphème. Si bas que je pensais que tu n'avais rien entendu. Je pensais être sain et sauf, je pensais avoir échapper aux flammes, aux braises, à la furie, mise en charpie causée par l'incendie.

Tu as murmuré mon prénom comme une incantation.

Enchantement machiavélique.

Délinquants.

Front contre front, souffles doucement rauques, rauquement doux, fiévreusement sains, sainement fiévreux. Brûlants, incandescents, enflammés. Ta lèvre était entre tes dents, l'anxiété perlait sur ton front, contre le mien, nos peurs se mêlaient comme nos âmes et j'avais envie de rire, pleurer et hurler, je voulais briser ce sortilège, ce manège qui me happait, flammes bouffant mes entrailles, graillant mes émailles. Armure éventrée, Achille atterré, attiré, attitré.

Embrasse-moi.

Ma peur bouillonnait dans mes veines au rythme du battement tumultueux de mon coeur. J'aurais pu crever sur place, cramer sur place, torche humaine, Icare terrifié.

Ta main s'est posée sur mon visage, plume dorée. Poésie décelée. Poète Parnassien, Morte amoureuse, Gautier laborieuse. Tes doigts me chauffaient, me brûlaient, laissaient derrière eux des cendres éparses, mon sang échauffé, mon âme gonflant ma poitrine. Tu me rends fou, tu assassines ma raison, mes mécanismes de défense durement mis en place, ils s'écrasent tous, un à un, glaces inutiles, flocons de terreur, erreurs du passé.

Tes doigts tracent le contour de mes lèvres avec l'infinie douceur de la terreur. Sommes-nous conscients du cap que nous passons? Savons-nous que bientôt sera dépassé le point de non-retour? Mais tu le piétines, ce point, tes doigts jouent avec ma lèvre inférieure, pressent sur elle comme pour me forcer à me concentrer sur la brûlante sensation de tes doigts sur mon coeur.

Tes yeux gris sont absents, tu sembles perdu dans une contemplation d'une oeuvre d'art, pourtant tes yeux sont posés sur moi, ta bouche légèrement entrouverte, un souffle de plus en plus court s'échappant d'entre tes dents. Taureau en colère? Dieu énervé?

Non.

Tes lèvres dansent contre les miennes, me titillent, m'invitent à briser la distance rageusement courte qui séparent nous bouches, nos âmes, nos coeurs.

Est-ce une erreur?

Est-ce une erreur d'attraper tes boucles de merde, tes boucles d'Apollon égaré? Est-ce une erreur de franchir la barrière de nos amours éclatés? De t'embrasser, affamé, terrifié, passionné? Est-une erreur d'écrire des vers lyriques sur tes lèvres rosées, de prononcer paroles lyriques sur ta peau clairsemée? De semer des nouvelles constellations— planètes violacées— dans ton cou, sur tes épaules, sur ta peau abimée? Est-ce une erreur de t'embrasser, encore et encore, quand nos souffles deviennent un et que mon âme argentée se mêle à ton âme dorée, glorieuse âme de mon bel artiste déifié?

Tu t'accroches à mon corps squelettique avec la ferveur d'un prêcheur, tes mains m'agrippent, noyé dans l'océan de nos tendresses, de nos maladresses douteuses. Haleine alcoolisée, tu ris près de mon nombril en découvrant un de mes tatouages, vestige de mon passé. Tu traces de ta langue esquisses d'un tableau que, phalanges blanchies par la tension de nos passions, je m'évertue à chanter. Je suis désespéré, affamé, je réclame plus à l'aide d'hymnes éclatés. Mon coeur menace d'exploser, je suis feu et tu es flamme et tu deviens mon corps et âme. Tu attises mes flammèches de ta cire et je me perds dans ton océan de gris étoilé.

Hector, Hector, Hector.

Je n'ai que ton nom à la bouche. Je le murmure comme une prière, encore et encore, tandis que ton corps et le mien s'emmêlent, s'enchevêtrent, se revêtent de la luisante transpiration poétiquement bronze.

AchilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant