So it's summer, so it's suicide — Richard Siken, Crush

J'en ai marre. Je n'en peux plus. Je sature. J'étouffe. J'ai l'impression de ne même pas avoir assez d'oxygène pour parler, ne serait-ce que hurler, ce cri qui est coincé dans ma gorge depuis ce qui me semble être des décennies.

Je ne peux m'échapper, je ne peux minimiser ma souffrance de monstre, ma haine déferlante, il me scrute. Je sais qu'il m'aime, qu'il ne le fait pas exprès, mais je suis une coquille d'oeuf et je m'effrite, me fissure, et bientôt je vais me rompre si je ne peux pas respirer.

Juillet.

Il fait chaud. J'étouffe tant. La chaleur enfle dans ma poitrine, amoindrit ma gorge, rougit ma peau. Le soleil m'oppresse. Thomas pend aux lèvres de la pouffiasse, Hector passe son temps au boulot — 6-19 heures, caissier au coin de la rue, yeux exorbités, rides violacées— je respire enfin.

Je me sens hypocrite et monstre de me réjouir de ses journées monstrueusement longues qui le font tant souffrir. Mes petits boulots étaient ma seule sortie et maintenant quand je rentre chez moi j'ai le temps de respirer, d'expier cette terrifiante haine qui me manipule comme un pantin.


Quand il rentre, il est éreinté. Il perd tous les jours un peu plus de ses rayons, un peu plus de sa brillance, de sa puissance. Il est creux et vide et je le vois devenir un pâle reflet de ma souffrance en silence, sans rien pouvoir dire. Dans quelques mois, cela fera un an que je le connais, et en un an j'aurais réussi à briser l'être le plus heureux du monde. Je suis un monstre, je me répugne, je me donne la gerbe.


" Pourquoi tu me regardes comme ça?"

" T'as l'air si fatigué."

" J'économise pour Aout. C'est bientôt fini, promis."

Il est gris, ses constellations brillent d'un bleu amoindri, ses yeux gris sont si ternes que mon coeur se fend dès que je le regarde. Je ne peux le regarder dans les yeux, ses prunelles me crient toutes mes erreurs et ses cils me rappellent les lames éreintées d'un chevalier brisé.

Athena et Roman passent souvent, le soir. Ils nous ramènent des repas pré-faits, des dvds à regarder ensemble, des BDs, des sourires un peu cassés. Je pense qu'Athena s'inquiète autant que moi. Je le vois derrière son faux-regard courroucé, je le vois dans la moue de ses lèvres, dans le pli entre ses sourcils. Roman le cache mieux. Sa fine moustache frémit sur ses lèvres quand il parle, sa mâchoire est légèrement trop tendue, mais mis à part cela il semble parfaitement tranquille.


Sorry about the blood in your mouth. I wish it was mine.

Littérature qui me crie mes erreurs. Richard Siken, amour effarouché, passionnément violent, délicieusement ensanglanté. J'entends son prénom comme une litanie satanique, je l'entends continuellement dans mon esprit, et je sais, je sais qu'il me hante, je sais que je dois lui échapper, que je dois courir, que je dois me vider de mon sang, crever, mourir plutôt que d'y retourner. Pourtant Hector n'est pas entré, pas encore, il est six heures, j'ai une heure devant moi, il fait chaud, le soleil brille encore entre les immeubles Haussmaniens, il est encore temps, alors je marche, je cours, je vole dans les rues pavées, mes pieds écrasent les dernières supplications de ma rationalité, je cours, je crie, je hurle, je me transporte, effarouché, farouchement vidé de toute objectivité, vers son appartement, le nouveau, le grand que la pouffiasse lui paye avec son argent ensoleillé.

I couldn't get the boy to kill me, but I wore his jacket for the longest time.

Je me jette dans la gueule du loup, Chaperon rouge dénué de peurs, j'arrive tellement vite qu'il n'a pas le temps de se détourner, de se lécher les babines, de rire grottesquement. Il me voit, avec son foutu sourire carnassier, ses foutus yeux caramélisés, sa peau encore bronzée, ses boucles poétiques, ses sourcils froncés, son nez aquilin et sa bouche de mannequin.

" Je te déteste" je lui dis, alors que sa bouche rencontre mon cou, ma mâchoire, mes lèvres. Il est brûlant, je suis en flammes, je m'abandonne au vice. Je suis dégoutant, fiévreux, malade. Il agrippe ma figure de ses deux mains puissants, ses lèvres agglutinées aux miennes avec une force herculéenne. Son corps contre le mien, nos âmes rougeoyantes emmêlées comme les pinceaux sur son bureau. Une vague de désir vicieux m'envahit et je m'y laisse noyer.

Il m'attire contre le bureau, là où trainent ses esquisses de poèmes, de peintures, ses essais. Tout cet art qu'il n'a pas brûlé mais qu'il ne terminera jamais, tout ce qui constitue son âme damnée.

But tell me you love this, tell me you're not miserable.

Sa bouche est feu, sa bouche est flamme, sa bouche enflamme ma peau, et je sens une larme couler sur ma joue avec une lenteur pathétique. Mon dos rencontre brutalement le bureau, mes poignets se brisent presque contre sa surface polie.


Nos corps sont emmêlés dans son lit, sous des draps blancs qu'elle lui a probablement acheté. Luisants de sueur, le souffle encore court, on ne parle pas. Il est presque huit heures, et je sais que chez moi, le soleil m'attend. Mais Hélios respire contre ma peau, et je ne peux lui échapper.

D'une main absente, je trace sur sa peau le dessin qui symbolise ma mort.

Je me répugne.

Pourtant, quand ses doigts effleurent les miens, quand les flammes m'envahissent, quand l'incendie finit de corrompre mon âme, j'y prends un goût presque héroïque.

Imagine surrender. Imagine being useless.

The stone inside you still hasn't hit bottom.

Tell me we're dead and I'll love you even more.








( NA: Toutes citations dans ce chapitre, écrites en italique, proviennent de Crush de Richard Siken.)

AchilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant