Another chapter where the hero shifts — Crush, Richard Siken

Il fait déjà nuit quand je rentre. Après avoir trainé entre ses draps d'Enfer, après avoir laissé mon corps se faire martyriser encore et encore par ses mains, ses lèvres, ses dents, après m'être fondu sous lui, encore et encore, mannequin désarticulé. Mon corps est couverts de marques violacées, ma peau presque bleutée, la honte se dessine sur mes traits avec une clarté presque divine. Satan vibre dans mes veines.

Hector ne m'attend pas, il n'est pas assis sur le canapé, il ne me demande pas de comptes. Pourquoi faire? Il est un être de confiance, il est un enfant, il aime avec innocence. Je suis un monstre.

Je m'assois sur ce canapé, ce canapé qui symbolise tout, qui symbolise notre idylle, notre amour, notre passion, qui symbolise nos mains, nos doigts, nos peurs, nos lèvres, notre miel, notre raisin. Qui symbolise mes pleurs, ma colère, qui symbolise les films de guerre d'Athena, les fêtes angoissantes, la peur ambiante. Il me semble si vide d'un coup.

Mon corps se liquéfie sur la surface moelleuse du canapé. Je suis vêtu, les marques sont cachées, pourtant je ne vois que ça: les bleus qui me trahiront, les marques de dent, les suçons. Le tableau d'une passion interdite, d'une haine que je m'étais juré d'oublier. Entre passion haineuse et passion amoureuse il n'y a qu'un pas. Je me hais, je me hais, alors pourquoi est-ce-que ma haine envers moi même ne c'est-elle jamais transformée en amour-propre, pourquoi est ce que je me hais autant, pourquoi est-ce-que je continue d'être obsédé par ce monstre qui en a rien a foutre de moi, qui m'a détruit, ruiné, qui s'amuse à me rouer de coups de pieds, qui a si peu de considérations pour les autres, qui aime seulement jouer, qui pourrait m'oublier en un clin d'oeil, si une blondasse lui faisait un clin d'oeil aguicheur ou si un beau brun mordait assez fort sa lèvre inférieure. Putain. Je suis un monstre, et je n'ai même pas de raison un semblant valide d'être allé le voir. Quoi. Un poème violemment homosexuel m'a fait pensé à lui, alors ça m'a donné une raison de coucher avec lui? De le laisser me toucher, malgré le poison qui recouvre ses doigts, ses lèvres, sa langue, malgré le fait que je ne suis plus à lui, malgré le fait que mon coeur appartient au beau, innocent, gentil Hector, qui m'aime tant que c'est répugnant, que je me répugne, je me répugne, je me répugne...

Je pleure dans le noir, tête enfouie entre mes mains calleuses. Le canapé m'avale, les Enfers me recrachent, Hades me renie. Il aime Persephone d'un amour pur et je suis un affront à son amour puérilement beau.

Je ne peux même pas m'apitoyer sur mon sort puisque c'est entièrement de ma faute.


Quand je me glisse entre nos draps, je me sens comme un voleur, comme un dégoutant démon. Ma peau me démange, mon coeur bat dans ma gorge, mon estomac se tord au creux de mon tronc comme un danseur désinhibé par l'alcool. Les effluves de ce même alcool vibrent dans ma bouche. J'ai bu, beaucoup, beaucoup trop, pour essayer de réduire au silence le monstre qui rugit, qui me mordille, me bouffe de l'intérieur.


Il est déjà parti quand je me réveille. Je suis allongé entre des draps froids, sans âmes. Ils sont gelés contre ma peau brûlante. Alors, doucement, j'enfile des vêtements pour recouvrir mon péché, j'agrippe mes clés, et je sors. Il ne fait pas froid dehors. Il fait chaud, c'est déstabilisant, le soleil vibre, me nargue, ses rayons rebondissent sur mes yeux fragiles. Ma gorge est serrée, ma poitrine menace de s'écraser, mon coeur menace de lâcher. Je suis victime d'une vilaine gueule de bois, je me dirige presque machinalement vers le café de ma rue, j'achète une tasse fumante, je marche dans les rues de Paris sans me soucier d'où je vais, mes jambes me font mal, je sens ma peau qui me démange gratter contre les vêtements que j'ai volé à Hector. Je sens les fleurs et l'été contre ma peau, je sens le paradis fruitier, je sens le bonheur et les nuages, la brioche et le pain frais.

Je me retrouve devant sa porte.

Je savais que mon inconscient me trahirait.

Il est là, il fume une clope, la fumée l'enveloppe comme un cocon, chrysalide, il se transforme en papillon de nuit. Des cernes violemment grises colorient le dessous de ses yeux caramels. Ses cils épars s'étirent comme des toiles d'araignée, ses sourcils chocolatés, chenilles sur son front, se froncent légèrement à ma vue. Je dois offrir un spectacle minable, pathétique. Je me demande s'il voit le suçon qu'il a laissé sur mon cou, masqué par une écharpe vermillon.

Il se redresse, son dos craquant sous le poids de nos actions. Il sourit. Son sourire est si doux que mon coeur sursaute.

" S'lut."


Ma poitrine sur son bureau. Ses mains sur mes hanches. Mes vêtements sur son sol. Son appartement bordélique. Mitski qui marmonne en arrière plan. Sa voix mielleuse qui susurre dans mon oreille. Nos corps, luisants de sueur. Son bureau qui craque sous le poids de nos péchés.


Quand je ressors, il est presque midi. Il m'a prêté son t-shirt the Cure, on n'a pas retrouvé celui d'Hector dans l'avalanche de vêtements sur le sol de son salon. Une clope pend entre ses lèvres, celles qui se baladaient plus tôt sur ma peau de damné. Il m'en offre une. Je la prend, l'allume d'une main tremblante, inspire la nicotine qui me brûle les poumons, puis expire lourdement. Il regarde pensivement le ciel, ses yeux ne se posent plus sur moi. Je dois le dégouter autant que je me dégoute. Je prends une autre bouffée de nicotine, la laissant me cramer de l'intérieur.

Il sourit, soudain, comme face à une blague silencieuse.

You will be alone always and then you will die.

" Dear So-andSo, I'm sorry I came to your party, and seduced you, and left you bruised and ruined, you poor thing."

Son accent est français, son anglais est brisé. Mais il me cite Richard Siken avec un plaisir évident, tortionnaire, violent.

" T'as laissé ton livre chez moi hier."

Il l'extirpe de sa poche, l'observe, un sourcil arqué, puis le replace dans sa poche.

" Je pense que je vais le garder."

AchilleWhere stories live. Discover now