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" T'es beau"

" Je suis au courant, Ach', tu me l'as déjà dit cinq fois aujourd'hui—"

" Non mais je suis sérieux, tu es beau."

Il sourit. On joue aux échecs sur son balcon. Des tasses fumantes de café trônent en équilibre sur une pile de livres de philosophie derrière nous. Il fait bon— le soleil est rose pivoine et l'air est pêche-framboise. Il va gagner— je le sais parce que je ne suis pas concentré sur sa reine mais plutôt sur ses lèvres. J'ai envie de l'embrasser à nouveau, mais je ne veux pas aller trop vite. ( Est-ce-que la rapidité nous fera cramer plus vite? Est-ce-qu'on finira en cendres?)

( Aime moi maintenant je ne peux plus attendre)

Ses doigts glissent sur le bois vernis des pièces du jeu d'échec et je me mords la lèvre. ( Je fais mine d'être concentré pour ne pas montrer que j'veux qu'il renverse ce plateau de merde pour me toucher moi— j'veux être sa pièce, j'veux être son jeu, je crois que je suis devenu fou). Ses doigts glissent sur le bois vernis de la reine qu'il bouge, et je sais que je suis foutu. Je vais forcément perdre. Je ne suis pas concentré. J'aurais dû être concentré. Il faut que je me concentre.

" T'es beau." je répète, pour me dédouaner

" J'ai cru comprendre."

Son sourire est couleur pastèque.

" Toi aussi t'es beau, Ach'."

Je bouge une pièce un peu au hasard. Tout ce que je vois c'est ses doigts sur mes cuisses, ses lèvres sur mon cou, je suis fou-furieux.

" Echec et mat'."

J'enfonce mes dents sur ma lèvre inférieure.

Il me regarde avec ses yeux libellule, avec ses yeux clair-de-lune. Debussy me susurre à l'oreille, je me retrouve virtuose, mes doigts pianotent sur sa cuisse et je le sens se raidir— il tente pas de me résister, non, il me montre là son désir entièrement.

Ses mains glissent sous mon t-shirt, m'attirent contre lui.

" Qu'est ce que tu cherches? J'ai déjà bouffé ton roi, j'peux te manger aussi.."

Il est doux et puissant et je sens que ma raison— ma détermination, mon envie d'attendre pour ne pas lui nuire, mon envie de me décaler de lui pour ne pas le briser, mon envie de partir pour mieux l'aimer, tout ça se barre, ça ne tient pas la route quand il me touche— s'envoler. Notre amour s'exprime avec les mains. Mais pas de la manière crue, presque cruelle que j'avais avec l'autre. Non. Nos mains se tiennent et expriment mille émotions. Je ne suis pas qu'un jouet, pour lui, même si être son jouet ne me dérange pas. Je suis un être entier, un être vulnérable, un être qu'il accepte dans son entièreté, même quand être entier signifie être brisé, être compliqué, être parfois dur à gérer.

Il est doux et je m'accroche à ses mains pour ne pas m'envoler.

" Hector je..."

Il sait. Je sais qu'il sait. Il sait toutes les choses que je ne peux pas dire. Il sait que j'ai peur, pas pour moi, mais pour lui, il sait que j'ai peur de baisser les barrières, de me laisser aimer, de le laisser m'aimer, il sait que j'ai peur de le briser, de le détruire, d'anéantir sa santé mentale, sa stabilité, il sait que j'ai peur de crever la bulle, que j'ai peur de faire tomber les cartes— et si le chateau s'écroule, qu'adviendra-t-il du roi, hein? Et si les fondations tombent en ruine, et si les briques assomment la reine?

" Je sais, Ach'. Je sais."

Evidemment qu'il sait. Il me connait, il sait que je courre avant de mieux revenir, il sait que je suis un chien sans laisse qui erre jusqu'à revenir à son maître. Il sait que je suis fissuré et amoindri et que je suis un être violacé comme les poètes amers qui crèvent sur leurs carnets. Il sait que je ne suis pas un humain d'exception, il sait que je ne suis pas l'amour simple et printanier dont rêvent certains, il sait qu'avec moi les orages sont nombreux, et pourtant il semble l'accepter et c'est inconcevable et pourtant je me vois forcer de le comprendre, de l'accepter.

" Je t'attendrai jusqu'à l'Apocalypse. Et quand le monde s'effondrera je te chercherai dans les ruines. N'en doute jamais, Ach'."

AchilleWhere stories live. Discover now