Il pleut quand j'arrive chez lui, les bras croulant sous le poids des cartons. Mon visage est maculé de larmes, des larmes que je ne mérite pas puisque je suis le connard de la situation. Il ouvre la porte, ne dit rien, ne fait pas de remarques sarcastiques, ne m'insulte pas. Il se contente d'attraper mes cartons, de m'entraîner dans son appartement. Il me prépare une tisane en silence, tandis que maintenant mes cartons se mêlent au bordel qui macule son sol. Il me sort un carton de glace, me le tend, avec la tasse brûlante de tisane. Nous ne parlons pas. Nous n'avons pas besoin de le faire. Il sait pourquoi je suis là.

La nuit est froide. La météo accompagne mes émotions. Dehors, une pluie bat contre les rues de Paris.

Nous restons assis dans son salon en silence. Je bois la tisane, avale une cuillère de glace avant d'aller la vomir. Il me tiens les cheveux, maintenant qu'ils sont de nouveau un peu longs. Il me sert un fond de vodka, j'attrape la bouteille. Il sort une clope, l'allume, la fige entre ses lèvres marbrées. Je lui en chipe une. J'expire lourdement. Tout est de ma faute.

On fume jusqu'à tard, très tard. Quand enfin on s'arrête, son paquet est vide, il est quatre heures, et la bouteille est vide à mes pieds. Je suis fatigué qu'il me porte jusqu'à son lit. Il part ensuite s'effondrer sur le canapé.


Le lendemain matin, mon réveil est douloureux et déroutant. Je mets un instant à reconnaître la pièce, dérouté par l'absence des couleurs chatoyantes de chez Hector et moi. Je me redresse, ma tête me lance, j'ai mal à la gorge, mes poumons me brûlent. Je me lève en grognant, je marche-rampe-souffre jusqu'à la salle de bain, je prends des médocs sans trop vérifier ce que c'est. Je me douche, m'effondre dans le bain, je reste appuyé contre le mur sous l'eau brûlante jusqu'à ce que Thomas vienne éteindre les flots. Il me porte jusqu'à son lit, où il me rhabille— t-shirt Hoobastank, cette fois, et un de ses caleçons trois fois trop grands. Il me sèche les cheveux avec une serviette et m'enrobe dans la couette. Il me prépare un sandwich, me l'amène, m'observe jusqu'à ce que je l'ai fini. Puis il s'en va. Acheter des clopes, je suppose.

Il revient vers quatorze heures. Il est rabougri, terne, fatigué. Il a déjà une cigarette clouée au bec, fumée sifflant autour de lui. Il m'en tend une que je refuse, puis il s'assoit sur le bord du lit.

" Y'a des affiches partout. Pour ton livre."

Je ferme les yeux. Je ne veux pas penser à la réalité. Aux mots d'Hector. A mes poèmes de merde. A ma tête qui menace d'exploser. Je ne sais pas ce que je fous, mais je fais de la merde.
Il comprend le message, termine sa cigarette et s'en va. Je ne sais pas où il disparait alors. Il me dira plus tard ce soir que c'était son nouveau boulot, il a pris un boulot à un café.

" Ta vie n'est pas détruite, Achille."

" J'ai perdu un soleil. Quelqu'un de parfait, quelqu'un de si pur que les Saints pâlissaient devant lui."

" S'il était si parfait, pourquoi tu l'as trompé avec moi?"

Je ferme ma bouche. Je ne peux rien répondre et il le sait.

" Ta vie n'est pas terminée. Tu as des projets, tu as un recueil de poèmes qui cartonne avant même d'être publié, tu as un endroit où loger, tu as un boulot."

" Oui. Jusqu'à ce que tu t'ennuies et que tu ailles voir ailleurs."

Il ne dit rien.

" Je ne veux pas de notre vieille relation, Thomas."

" Peut être n'avons nous pas besoin de couple. Peut être pouvons nous être des colocs."

" Qu'est-ce-que tu racontes?"

" On se donne pas d'étiquettes, on voit où cette situation chaotique nous mène."

Il sourit.

" Tu sais, je sais que je suis une sous-merde. Tu me l'as déjà dit à maintes reprises. Et à force de me répéter à quel point je suis un connard, à quelle point j'ai niqué ta vie, j'ai fini par comprendre, par l'entendre. Ma dernière ex m'a dit la même chose avant de partir. Quelques jours avant que tu arrives, début Juillet, j'ai commencé à voir une psy. J'me fais aider. Deux fois par semaine depuis un mois."

" Je savais pas."

" Evidemment que non. Je ne voulais pas te le dire parce que je voulais pas te donner raison."

" Intelligent. Très mature."

" Ce que j'essaye de te dire c'est que j'essaye de changer. Que je ne vais pas être le connard froid que tu as connu. Je vais tenter d'être quelqu'un de bien. Là, ce dernier mois, j'étais déjà mieux, non?"

" Tu es toujours mieux pendant un temps. Jusqu'à ce que tu ne l'es plus."

" Sauf que maintenant j'ai de l'aide professionnelle."

" Ecoute. Ton petit paradis, là, il est bien beau. Mais notre vie ne va pas être idyllique, pas parce que soudain tu as décidé qu'on a le droit à une vie parfaite. Juillet était incroyable parce qu'on avait pas de barrières, qu'on était constamment bourré, qu'on fumait des paquets entiers de clopes, parce qu'on était caché, complètement fous, tarés."

" Tu es si négatif, Achille. Comment as-tu-pu prétendre aimer le soleil toi qui ne voit que les trous noirs?"

" C'est bien pour ça que je te vois. T'es un trou noir. T'avale toute la lumière qui t'entoure."

" Tu étais autrefois ma lumière préférée."

" Et maintenant?"

" Maintenant, t'es une explosion d'étoile."

AchilleWhere stories live. Discover now