Ecrire c'était un peu comme vomir sur une feuille, dans le noir, à moitié bourré, l'alcool vibrant dans mon sang comme des bulles d'acier. J'écrivais, appuyé contre le mur trop blanc de la salle de bain, la colonne vibrant au gré de mes sanglots. Le sel et l'eau se vidaient sur mes joues comme des restes d'une explosion d'usine. J'étais pathétique, je me trouvais répugnant et dégoutant, je me dispersais sur les dalles comme un ange déchu, sans la gloire de Lucifer, sans les ailes d'un blanc nacre, d'un blanc perle, d'un blanc pur et doux comme la neige des montagnes. Je me purgeais de mes péchés à coups de larmes sales et de mots brinquebalant, maladroits, adroitement biscornus.

Il était une heure du matin, peut être deux. Il faisait frais, le genre de fraîcheur causée par une brise douce, qui s'infiltre dans l'entrebâillement de la fenêtre que ton amoureux a laissé ouvert pour aérer en oubliant de la refermer. Fin Mai. Juin approchait, ses bras ensoleillés se dépliant sur le monde, jaunes, hâlés, bronzes. J'avais une peur bleue d'Hélios, de ses rayons, de ses yeux perçants, si infiniment dorés, si infiniment brûlants. Peut être est-ce-que j'avais lu trop souvent le mythe de Circé, peut être que sa divinité m'intimidait, peut-être était-ce parce que je me retrouvais dans la folie d'Icare, qui s'était rué droit vers un sort brûlant, agrippant Hélios de ses bras maigrelets. Même Circé, fille de ce monstre, n'avait pu l'en sauver.

Les feuilles jaunes de mon carnet me paraissaient usées par le temps, usées par le crachat incessant de mon âme de damné sur ses lignes étriquées. Je fermai le carnet, les doigts tremblants— je me voyais toujours comme une coquille vide, comme un squelette, pas de masse musculaire, pas de couche de gras, juste des os et de la moelle épinière, juste une coquille sans vie qui tentait tant bien que mal de maintenir une illusion de vie. Cadavre, restes d'un être vivant qui n'était plus, blanchi par les vagues salées du temps— des larmes rondes, infertiles, roulant sur ma peau meurtrie.

Quand je revins à notre lit, il dormait à poings fermés, les cils toujours aussi dorés. Il était le doux portrait de la paix, ses lèvres légèrement étirées, un bonheur enfantin dessiné sur son visage de chérubin. Il était doucement lui, timidement heureux, le coeur de ma vie et la vie de mon coeur. Je m'appuyai contre le chambranle de la porte, sentant comme un malaise étreindre mon corps. Je n'avais pas la force de l'observer, de tenir debout sans m'écrouler. Mes doigts blanchirent, je m'agrippai avec une force désespérée au mur, un sanglot bruyant éclatant dans ma gorge comme un coup de tonnerre. Je me laissai glisser au sol, mes genoux résonnant contre le parquet, je laissai mon âme se vider sur mes joues, salée et désastreusement mienne. Je restai là, assis dans le noir, contre la porte ouverte de la chambre que je partageais avec mon amoureux.

L'amour pour moi était un désastre, un chaos organisé, une torture délicieusement ronde, blonde, herculéennement douloureuse et vénéneuse. Je n'en revenais jamais indemne, je finissais toujours brisé, même lors du bonheur effervecent. J'étais destiné à m'auto-détruire, à me sacrifier pour ma patrie. Mais je ne connaissais pas ma patrie, je ne comprenais pas les Parques, je voulais juste un bonheur innocent, enfantin, qui me laisserait profiter de la joie sans retournement incessant de situation.

J'étais un héros instable, confus, mélangé, imprécis. Et je ne savais comment devenir épique.

Le temps pour moi redevenait impersonnel, il me séparait de mes actions et de mes sentiments comme une barrière infranchissable, me séparait de ma vie et de mes amis avec une efficacité terrifiante, je ne savais plus comment m'exprimer sans devenir robotique, sans devenir fatidiquement moi.

J'aurais souhaité courir vers la mort plutôt que d'être moi.

Mais l'illusion du choix avait disparu depuis longtemps, et je devais poursuivre ma destinée.

Même si j'étais destiné à souffrir.

AchilleWhere stories live. Discover now