Juin - 4

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Il marmonne quelque chose dans sa barbe inexistante que je ne comprends pas et repart de plus belle vers la sortie, que je vois au loin. Deux minutes après, nous arrivons devant la grille, haute de trois mètres. Il passe le premier, escalade le tout en une minute, chronomètre en main, et atterrit proprement de l'autre côté, en dehors de l'enceinte de l'établissement. Il me fait signe de faire de même et je me rebute un peu à l'exercice. Je lui lance tout d'abord prudemment mon sac qu'il attrape sans délicatesse et je commence à monter. Mes doigts s'écorchent sur les fils de fer et je manque plusieurs fois de trouer mon pantalon ou de salir ma chemise. Arrivé en haut, j'enjambe la barre de métal froid et je descends de quelques centimètres. Une fois à une distance raisonnable du sol, je saute pieds joints contre le macadam. Je mets quelques secondes à recommencer à bouger et à rattraper Valentin. Curieux, je finis par lui demander où il compte m'amener — puisque je suis toujours semi-consentant. Dans un sourire que je qualifie d'énigmatique, il répond :

— Tu verras bien... On ne t'a jamais dit que la curiosité était un vilain défaut ?

Je ne tique pas, sors une sorte d'onomatopée orgueilleuse à souhait et tourne la tête de l'autre sens pour ne pas voir les yeux de cet imbécile heureux briller parce que je me suis intéressé à la destination de notre aventure. Apparemment pas vexé par mon manque de considération pour son visage, il reprend, sans sa touche de mystère dans la voix.

— Par contre, j'espère que t'as ta carte de transports, ou on ne pourra pas aller bien loin. À moins que tu sois du genre à sauter au-dessus des portiques à la gare, ou à avoir un porte-monnaie bien fourni vu le prix exorbitant des billets.

Je me retourne vivement, piqué au vif. Je fronce les sourcils, le regarde bien dans les yeux, l'air de dire :

— Tu me prends pour un imbécile ou quoi ? Je n'habite pas près de l'école, bien sûr que j'ai ma carte de transports avec moi ! D'ailleurs, pourquoi le train ? Le réseau de bus est mieux développé ! Fais marcher ton cerveau de temps en temps, il n'est pas là que pour décorer ta jolie tête.

Dans un certain sens, je préfère ne pas parler et continuer à être silencieux. Parce que je suis trop cassant quand j'ai le malheur d'ouvrir la bouche.

— J'ai compris, j'ai compris, s'excuse-t-il, je retire ce que j'ai dit. On peut y aller maintenant ?

Je hoche la tête et il démarre. Je le suis de près, sans pour autant être à côté de lui. J'ai le nez vers les nuages, focalisé sur le ciel étrangement bleu — cette beauté est une traîtresse, parce que le Soleil ne fait pas pour autant son travail, vu la fraîcheur de l'air ambiant. Comme promis, nous marchons jusqu'à la gare et prenons un train dont je ne connaissais pas l'existence. Nous sortons de la ville et nous arrêtons dans une station de campagne, vide de monde. Il fait encore plus froid, mais je me dis qu'ici, personne ne pourra nous reconnaître avec nos uniformes et en déduire que nous devrions être en cours à l'heure qu'il est.

Une fois que nous avons quitté les quais, Valentin me conduit vers une forêt dense et pas vraiment rassurante. J'entends des bruits étranges, malgré le fait qu'il fasse encore jour et le sol craque sous mes pas à cause du petit bois qui le jonche. Valentin paraît comme un poisson en pleine mer tant il est à l'aise dans cet environnement. La menace de la moindre salissure sur mes chaussures presque neuves, sur ma chemise blanche propre de ce matin ou sur une quelconque partie de ma tenue me fait me contorsionner dans tous les sens pour éviter les écorces et les branches. Encore une fois, mon guide semble à l'opposé de moi en ne se souciant guère de la propreté de ses habits.

À mi-chemin — je ne le sus qu'après —, j'entends un bruit particulier, bien différent des autres. J'essaie de l'identifier, de deviner ce que c'est, mais mes oreilles ne sont pas bonnes. De plus, je suis bien trop focalisé sur mes pas, que je veux les plus propres possibles, pour mettre le doigt sur ce son que je semble pourtant reconnaître. Il me faut encore dix minutes de marche pour enfin placer une image sur ce que j'entendais.

— Une cascade en pleine forêt, elle-même perdue au milieu de nulle part ? dis-je à voix haute pour moi-même.

— Ouais, je l'ai trouvé un jour un peu comme celui-ci, alors que je m'en... que j'étais en promenade. Ce n'est pas vraiment un coin entretenu par les gens du village, mais c'est magnifique.

Je le fixe, me plongeant dans ses yeux. Ils brillent de mille feux lorsqu'ils se perdent dans la cascade et le lac. Les sentiments que l'on peut y déceler sont nombreux et je ne pourrais pas tous les nommer. Presque troublé, je lui demande.

— Pourquoi m'amènes-tu ici ? L'endroit a l'air important pour toi, on dirait presque ton jardin secret. Habituellement, on montre ces lieux aux personnes qu'on aime, à qui on tient. Alors pourquoi moi ? Tu m'as rencontré aujourd'hui, et tu m'as presque menacé de me courir après dans toute la ville si je ne venais pas avec toi. Je suis un inconnu pour toi, et pour être honnête, je n'ai pas spécialement été gentil.


Ciel d'été [BxB]Where stories live. Discover now