Août - 6

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C'est court, mais c'est nécessaire, parce que sinon, j'aurais tout simplement eu l'impression de trop en dire. Ce chapitre est un peu différent des autres.


Je suis hors du temps. Je suis hors de l'espace. Je suis hors de tout, hors de mon corps, de mes sensations. Je flotte dans le ciel, dans la mer, dans le vide, dans l'espace, dans les étoiles. Je ne sais plus qui je suis, ce que je fais. Je suis hors de tout.

Le soir est tombé. Je suis sur le sofa, dans le salon de la maison. Walter n'est pas rentré. Je n'ai pas mangé. Il ne pleut pas. Il ne fait pas chaud. J'ai une couverture sur mes pieds. J'ai un verre de thé dans les mains. Et je suis hors du temps.

Je ne sais pas comment je suis rentré, je ne sais pas ce qui s'est dit sur le chemin de retour de l'aquarium. Je ne sais pas si mes yeux se sont posés sur le ciel, sur la route, sur la forêt, sur le toit de la maison, sur le clocher. Il a sonné, il y a cinquante-trois minutes. Je l'ai entendu, j'ai fermé les yeux, j'ai respiré, au milieu de la chambre qui m'a été attribuée. Je suis monté au sommet, j'ai observé tout autour de moi. J'ai tenté de retrouver une attache, quelque chose. Mais rien ne marchait. Rien ne marche. Je suis hors du temps.

- Ca va ? me glisse-t-on, s'asseyant à côté de moi.

Je ne sais pas comment répondre. Est-ce que je vais bien ? Est-ce que je vais bien ? Comment je me sens ? Je ne ressens rien, et tout à la fois. Tout est mélangé et je ne comprends plus rien.

- Je n'en ai aucune idée, lâché-je, en fixant droit devant moi, mon verre de thé dans les mains.

- Tu ne voudrais pas sortir d'ici ? Aller dans un endroit, un endroit un peu spécial.

- Tout est spécial pour toi, n'est-ce pas ?

Je le regarde pour la première fois depuis que nous sommes rentrés. Lui, il n'a pas l'air dérangé. Tout à l'air normal, tout à l'air sur les rail. Il n'y a que moi qui suis mélangé, comme un mauvais tourbillon, comme le peintre qui ne sait plus que faire avec ses couleurs. C'est injuste et en même temps, je ne peux pas lui en vouloir.

- Oui, tant que tu es avec moi.

Il ne se cache plus. Il dit ce qu'il pense. Il dit la vérité. C'es beau, c'est doux, et je souris. En écoutant cela, j'ai juste l'impression d'être à nouveau sur les rails. D'être droit.

- D'accord. Sortons d'ici, répondis-je, le fixant droit dans les yeux.

Les couleurs s'alignent, le temps reprend son court. Je ne comprends pas comment tout se répare, mais je me sens de plus en plus moi-même. C'est agréable. C'est grâce à lui, tout simplement.

- Prends des pulls, ton maillot de bain, ton sac de couchage. Des habits de rechange aussi. Je me charge du reste. Fais-moi confiance.

Je dépose le verre. Je me lève. Je le fixe à nouveau, ne pouvant me détacher de lui. Je souris, lui aussi.

- Je te fais confiance.

Je passe à côté de lui, nos peaux se touchent presque. J'en ai la chair de poule, lui aussi. Mon coeur s'affole dans ma poitrine, je ne m'étonne même plus. Je monte en comptant les battements, en essayant de mettre au clair mes pensées.

Ce baiser au creux des méduses m'a fait quelque chose, je ne peux pas l'ignorer. Ce serait un pur mensonge et une action d'une grande cruauté envers cette personne qui fait démarrer mon coeur. Ce baiser m'a mis devant la vérité, ce que je voyais sans savoir qu'elle était pleine et réelle. Ces compliments, ces sourires, ces recherches constantes de mon attention, de mon regard. Ces phrases, qui ne démontraient qu'une simple amitié - forte, vitale, tempêtueuse - pour moi, étaient en réalité une expression de sentiments bien plus complexes. Aucun mot n'a été mis sur ce qui l'anime, sur ce qui m'anime moi-même. Mais les contacts que nous avons, visuels comme physique, me retournent, tout en me faisant rester dans le temps, hors du silence et du vide. C'est un paradoxe parfaitement impressionnant.

Dans la chambre, j'attrape un sac à dos, ainsi que toutes les affaires qui m'ont été préconisées. Je suis comme une machine qui réalise toujours les mêmes mouvements, ne réfléchissant pas à ce qu'elle fait, mais en étant loin de ces préoccupations matérielles. Je suis à nouveau hors du temps, parce qu'il n'est pas là, avec moi, parce que je n'aperçois pas ses pupilles plus bleue que le ciel, parce que les étoiles brillent au-dessus de ma tête et non cette voute diurne qui me permet d'être moi-même.

Je redescends sur la pointe des pieds. Je dépose le sac sur le sol, dans le vestibule, je trouve une veste, mes chaussures. J'enfile le tout, attend dans la nuit. Mon thé est froid, je le termine quand même, en grimaçant. Mes lèvres sont sèches, j'ai une soif que je ne comprends pas. Je me dirige dans la cuisine, pour me resservir de ce thé froid, dans la théière. J'apprécie son goût, la deuxième fois. Je le bois d'une traite, et je m'en ressers encore. Mes lèvres se sentent mieux, ma soif aussi. Dans l'encadrement de la porte, mes yeux trouvent leur vis-à-vis, bleutés par le soir tombant.

- Tu es prêt ?

- Oui. Allons-y.

Il porte un grand sac dans le dos, ainsi que deux objets ronds, dans sa main droite. Il m'en tend un, en m'expliquant que j'en aurais besoin, mais en me révélant rien d'autre. Je lui fais entièrement confiance. Nous quittons la maison sous les coups de vingt-et-une heures. Nous marchons dans le silence le plus complet, nos mains se frôlant, nos yeux se croisant, nos lèvres s'étirant. La forêt est le théâtre de nos échanges silencieux. Je ne réfléchis pas, je ne pense à rien. Je ne le quitte pas des yeux, lui qui évolue devant moi, comme s'il connaissait parfaitement les lieux.

Les arbres se font de plus en plus espacés. Je comprends soudainement où nous allons. Le trou, que j'avais aperçu sur le toit. Une clairière, sans doute. Et puis, mes yeux trouvent une grande étendue. C'est encore mieux qu'une clairière, encore plus magique, encore plus spécial.

- Un lac, dis-je, en m'arrêtant.

Il se retourne. Les étoiles brillent dans ses yeux. C'est magnifique, tout simplement.

- Oui. Apparement, je suis assez doué pour les retrouver. Ce n'est pas la première fois que Walter m'abandonne pendant plusieurs jours. Lorsque je suis seul, je viens ici.

- Et pourquoi m'y amènes-tu ? Pourquoi refais-tu la même chose qu'à Belfast ?

- Parce que ce lieu est spécial et magique.

- Magique ?

- Oui. On ne peut pas y mentir.

- Vas-tu me révéler toutes tes vérités ?

- Toutes celles que tu veux entendre. Viens, installons-nous.

Je dépose mon sac et l'objet rond, qui se révèle être une tente. Il suffit de la déballer et de l'accrocher, sans monter les piquets et les tentures. Elle n'est pas très grande, pour une seule personne. Cela me convient. J'attrape un pull, je glisse mon sac de couchage, doux et électrique. Et je ressors, la peur au ventre. J'ai peur de mes vérités, j'ai peur de celles de mon vis-à-vis. J'ai peur de ce qui pourrait se passer entre nous, autour de nous, en nous. J'ai peur.

La nuit est désormais tombée sur notre clairière. Ma vue est peut-être faible, mais je distingue encore les formes. La plus importante d'entre elles est devant le lac, à observer les alentours. La fermeture de ma tente la fait bouger, la fait se retourner. Il sourit et se focalise à nouveau vers l'étendue bleue. Il enlève son t-shirt, puis son bermuda, fait sauter ses baskets sur le sol terreux. Il n'a pas de chaussettes, ne garde pas ses bracelets éponge, juste les bandes autour de ses poignets. Il est en maillot de bain.

- Viens, crie-t-il dans un murmure.

J'approche, dans tous mes habits. Je le détaille, mes yeux ne savent pas où aller. Le torse, les jambes, les pieds, les bras, les pupilles. Il s'éloigne, en marche arrière. Ses chevilles lèchent l'eau du lac, il ne fait pas une seule grimace me signifiant sa température. Il est parfaitement inexpressif, avec son sourire plus grand que son visage.

- Allez, je commence notre petit jeu, si tu veux. Pour te rassurer.

Je suis au bord du lac, lui au milieu. Il y a un monde entre nous. Il prend une grande respiration, fixe le ciel, puis moi. Un sourire. Et quelques mots en français.

- Je t'aime Eliot.

Ciel d'été [BxB]Where stories live. Discover now