Juin - 11

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Nous discutons encore tous les trois sur cette réunion, et sur les potentiels prix qui y seront distribués. Daisy se demande pourquoi la faire si tôt, comme l'année ne termine qu'en juillet.

— Parce que les year 14 ont d'autres chats à fouetter que se rendre à ce genre de manifestation. Et puis, nous sommes dans le même cas. Notre examen n'est peut-être pas aussi important que le leur, mais il existe quand même.

Un simple regard vers ses mains liées et ses yeux si ternes et bas me fait me dire qu'il n'est pas à l'aise avec les études. Je commence à ouvrir la bouche pour lui proposer quelque chose, mais je n'en ai pas plus le temps. La présidente du conseil des élèves, qui est à la tête de nos quatre maisons, me coupe la parole.

— Bonjour, Clear Lake !

Des cris fusent autour de moi, mais je reste silencieux. C'est une chose que l'on me reproche souvent : mon manque de patriotisme vis-à-vis de notre école. Pour moi, ce n'est qu'un lieu transitoire vers une étape bien plus importante.

— J'ai cette sensation étrange au creux de mon cœur depuis ce matin, parce que c'est mon dernier meeting avant l'obtention de mon diplôme. J'aimerais vous remercier pour votre dévouement pendant toute l'année scolaire, et pour vos résultats ! Une dédicace toute spéciale à ma maison, ma chère maison de Robert Brown qui s'est fait retirer deux membres pendant l'année, si prématurément. Je vous garderais dans mon cœur !

Son regard brun clair balaye l'assemblée et elle avale un peu d'air. La totalité des élèves présents se tourne vers les deux portes du gymnase, qui viennent de claquer. Deux adolescents, deux jeunes hommes, se tiennent à l'entrée, dans l'uniforme de l'école. Une cravate verte, la même que celle de notre présidente, décore leur chemise blanche. L'un des deux garçons, le plus petit, est en jeans. Quel manque de politesse. Mais ce qui me fait réagir, ce n'est pas cette interruption mystère, mais la réaction de mon voisin de droite. Les pupilles braquées sur celui sans uniforme, les yeux ronds et presque écarquillés, il pleure.

— Valentin ? Tout va bien ?

Il se tourne vers moi et une larme dégouline sur son genou. Je suis complètement perdu, et Daisy semble figée dans sa position, la main sur la bouche et les yeux collés sur les nouveaux venus.

— Il faut que je prenne l'air. Il faut vraiment que je prenne l'air.

Et il s'enfuit par la porte arrière, le plus discrètement possible. Bloqué sur ma chaise, je ne sais pas quoi faire. J'entends ma respiration au creux de moi, comme si j'étais sorti de mon propre corps. Mon cœur bat dans mes tempes, c'est assourdissant. Je regarde partout autour de moi, au ralenti. Les deux nouveaux élèves qui vont s'asseoir avec la maison verte. L'un des deux a les cheveux d'un bleu pastel, ce qui confirme ma théorie sur les mèches colorées dans cette école. Le second ressemble à s'y méprendre à un mouton, avec ses boucles châtain foncé et sa peau brun clair.

Je suis dans une sorte de bulle, que la porte qui claque derrière moi fait exploser en un millier de morceaux. Je me lève précipitamment et ignore complètement le regard de mes petits camarades. Je dois rattraper Valentin.

Une fois dehors, enfilant ma veste attrapée au dernier moment, je n'ai pas à chercher longtemps la tête blonde de mon nouvel ami. Il est contre le mur, les jambes recroquevillées contre lui. Il serre ses poignets avec une force considérable, comme s'il souhaitait déchirer le tissu blanc ou même violemment se les arracher. Je n'ai jamais vu personne dans un état pareil, dans une pareille détresse.

— Eliot, je....

— Je ne te demande pas de t'expliquer.

Je m'assieds à côté de lui, oubliant complètement la salissure ambiante et l'idée que des pieds aient foulé le sol sur lequel je suis posé. Je ne suis pas présent ici, à cet endroit précis, pour être maniaque.

Il renifle, et nous tournons la tête en même temps l'un vers l'autre. Ses yeux sont rouges sur les côtés, ce qui est normal. Mais leur bleu semble magnifié et la couleur insipide du ciel de juin est largement surpassée — cette simple remarque devrait m'étonner, mais je suis trop focalisé sur mon vis-à-vis pour le faire. Je ne sais plus quoi dire. J'en ai le souffle coupé.

Au travers des larmes et de cette complète incompréhension, Valentin me sourit. Et je suis certain que c'est vrai.

— Merci Eliot.

— Je n'ai rien fait. Je ne suis même pas capable de te consoler. Je te l'ai avoué tout à l'heure, les amitiés se brisent toujours avec moi.

— Tu ne démolis rien du tout. Au contraire, tu poses la première pierre. C'est pour ça que je te remercie. Parce que tu es sorti.

— Je m'inquiétais.

C'est étrange de dire cela. Réellement étrange. Mais tellement authentique.

— Alors tu es un véritable ami. Crois-moi, s'il te plaît.

— Je te crois.

Un coup de vent. Mes cheveux volent et apportent de la poussière dans mes yeux. J'éternue sans aucune raison apparente, ce qui fait rire mon voisin. Ses larmes ne sont pas sèches, mais il sourit. Et ses iris brillent, brillent, brillent. 

Ciel d'été [BxB]Where stories live. Discover now