Juin - 9

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Toute la matinée est consacrée au rangement et aux arrangements décoratifs. Je ne m'en plains pas, puisque j'échappe à deux heures de mathématiques. Mais je commence rapidement à m'ennuyer : nous sommes un nombre plutôt conséquent d'élèves qui ne participent pas à des activités culturelles ou sportives et qui doivent aider. Valentin a fini par sortir de sa salle, et a immédiatement dirigé un regard noir vers moi. J'ai enfilé mes écouteurs pour une séance de piano calme et je l'ai ignoré en me focalisant sur un livre qui ne quitte jamais mon sac. On me reprend quelques fois pour que je me lève ou me déplace, mais globalement, je me fais oublier. Et sur les coups de midi, je m'en vais vers le toit, afin de déjeuner.

Il fait toujours aussi mauvais, et je m'insulte à nouveau d'avoir laissé ma veste chez moi. Je tremble presque de froid, assumant totalement être un frileux né. J'en reviens même à éternuer en plein mois de juin, ce qui ferait rire n'importe quel météorologue. J'ouvre ma boîte-repas, remplie d'une salade composée par ma mère — elle ne me fait pas réellement envie, malgré tout l'amour transmis dans cette préparation.

Frileuse, et tête en l'air par-dessus le marché. Finalement, tu n'es pas si parfait, Eliot.

Je me retourne vivement, cherchant des yeux la personne qui a prononcé ces paroles à mon encontre — la voix, le ton utilisé et la présence de mon prénom à la fin de la phrase m'indiquent déjà de qui il s'agit. Ne le trouvant pas tout de suite, je me retrouve avec une veste ainsi qu'un châle sur le haut du crâne, jeté là négligemment. Enlevant les vêtements de mon champ de vision, je lève la tête. Je tombe sur une paire de jambes qui pend au-dessus de moi. Un visage se penche et je croise deux iris bleus rageurs et pleins de colère. Valentin est sur le toit de la cage d'escalier et c'est lui qui m'a lancé ses vêtements en me traitant de frileux. Je roule les yeux, irrité, et laisse les affaires sur le sol. Je m'assieds à l'opposé, derrière lui, et termine mon repas. Lorsque je referme ma boîte, il saute carrément à mes côtés et s'appuie négligemment au mur, les bras croisés sur sa poitrine. Sa position me ferait presque rire si je n'étais moi-même furieux de sa présence à mes côtés, alors que je suis censé déjeuner. Je range ma boîte vide dans mon sac et me relève, désireux de quitter le toit le plus rapidement possible. Une voix à la fois proche et lointaine me stoppe dans mes mouvements.

— Alors c'est comme ça, tu vas te barrer sans un mot, sans rien, et faire une croix sur notre amitié sans une once de culpabilité ?

Je serre les poings, cette fois-ci réellement en colère, et me retourne rapidement, les sourcils froncés, mes yeux noirs lançant des éclairs.

— Je n'ai jamais dit que nous étions amis. Cette relation de pseudo-amitié est à sens unique. Alors oui, j'ai répondu à tes premiers messages, oui, je t'ai donné un surnom, oui, je t'ai accompagné à la cascade. Je croyais que tu allais te lasser, parce que je ne suis pas très sympathique avec toi et que je te traite d'imbécile à longueur de journée. Mais tu es un spécimen plutôt... gluant, je dois l'avouer. Si tu veux tout savoir, il est vrai que c'était étrange de faire le chemin seul ce matin et que j'étais heureux de te retrouver dans la réserve. Mais je n'ai aucune idée de ce qui m'a pris.

— Il t'a pris que ton cœur de pierre, ton cœur tout froid s'est enfin réveillé et que la petite voix au fond de ton cerveau t'a dit qu'il serait grand temps de te comporter comme un ami avec moi. Seulement, faut que tu l'écoutes, parce qu'elle a raison, elle a entièrement raison.

— Comprends-tu l'anglais ou faut-il que je te traduise la phrase en français ? Je ne suis pas ton ami, Valentin.

— Pourquoi t'es comme ça ? Pourquoi tu réagis comme ça dès qu'on veut t'approcher ? J'ai pas la peste ni aucune autre maladie ultra contagieuse, tu sais.

— Parce que je finis toujours par être celui qui est déçu, celui qui se retrouve seul à la fin, le pauvre animal abandonné par ses maîtres. Je ne supporte plus d'avoir ce rôle-là.

La phrase est enfin sortie. Je le fixe, lui montrant que je n'ai pas peur de lui. À mon grand étonnement, il ne me soutient pas le regard, mais le fui. Il s'assied près de moi et commence à parler.

— Quand j'étais jeune, personne ne croyait en moi. J'étais un petit garçon frêle et timide, qu'il ne fallait pas bousculer. J'étais différent par mon accent. Alors, on me mettait de côté, tous les jours, tout le temps. J'étais la brebis galeuse dont on ne voulait pas dans le troupeau. Mais je ne me suis pas laissé faire, je leur ai prouvé que je valais quelque chose. Un jour, on nous a annoncé un festival de sport qui réunirait toute l'école. J'ai demandé à participer au relais en groupe. Au début, on m'a envoyé paître en m'inventant un problème de souffle que je n'avais pas. Un des participants s'est foulé la cheville à une précédente course. Tous mes petits camarades étaient déjà engagés dans quelque chose, il restait plus que moi. Alors j'ai couru, j'ai couru en dernier et j'ai gagné. Ça n'a pas été tout de suite acquis, ma classe ne m'a pas élevé en héros. Mais en entrant au collège, j'étais enfin respecté pour qui j'étais.

Il me sourit, et se rapproche de moi. Nos épaules sont non loin l'une de l'autre.

— Peut-être que tu as été traumatisé dans ton enfance par de faux amis, mais je ne suis pas comme ça. Ne te fie pas à ta première expérience. Si je l'avais fait il y a dix ans, on ne me ferait pas confiance lors des festivals de sport pour ramener la victoire à ma classe. Je sais que ça peut paraître décousu, mais est-ce que tu vois ce que je veux dire ? Je ne te trahirais pas, je te le promets.

Il sourit comme un imbécile à la fin de sa longue réplique. Mes traits se sont radoucis au fur et à mesure. Ses yeux, son sourire, son discours, toute sa personne me disent de lui faire confiance et que sa dernière réplique est tout à fait sincère. Alors j'abandonne la partie, je tombe dans le filet, je me laisse engloutir par cette nouvelle amitié. J'étire mes lèvres, plisse les yeux et éternue bruyamment à cause du froid qui se fait bien trop ressentir sur ma peau. Je peste encore une fois contre la météo. Valentin éclate de rire immédiatement et je mime une moue faussement vexée. Je contourne les murs de la cage d'escalier pour aller chercher les vêtements que mon ami m'a lancés sur la tête un peu plus tôt. Une fois emmitouflé — son châle rouge sent son odeur —, je vais le rejoindre près des barrières qui entourent le toit.

— Tu ressembles à un pingouin. C'est plutôt marrant de t'observer te recroqueviller sur toi-même, dit-il à la limite du rire. Surtout que nous sommes en juin et qu'il fait super bon ! Franchement, je crois que ton intérieur est complètement déréglé, mon vieux.

— J'ai froid. Et ce n'est pas drôle... Valentin.

Il se tourne vivement vers moi, la main dérapant sur la barre de fer. Il sourit plus encore que précédemment.

— Bah tiens, pas d'imbécile ? Ça fait plaisir d'entendre mon prénom, pour une fois.

Je ne réplique rien et je me touche l'arête du nez, montrant une forme d'agacement. Mais sous ce geste presque automatique, je souris. 

Ciel d'été [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant