Juin - 6

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Ce n'est pas réellement vrai, c'est juste ma curiosité maladive qui s'exprime à ma place. Pour couper court à ces pensées, je resserre mes jambes contre moi et pose ma tête au sommet, sur mes genoux. Je sais que c'est une posture étrange, mais Valentin est devant moi et ne me voit pas. Le silence est pesant entre nous et une partie de moi a envie de le briser, avec n'importe quoi. L'autre, toujours sceptique quant à cette nouvelle amitié, voudrait rester comme cela le plus longtemps possible.

— Dans ta famille, à qui ressembles-tu le plus ? lance-t-il soudainement

J'enlève la tête de mes genoux et étends à nouveau mes jambes devant moi, regardant la cascade, évitant ainsi les deux iris bleus qui me fixent. Je n'ai même pas besoin de réfléchir à la question, dont je connais déjà la réponse.

— À mon grand frère, Callahan. On se ressemble énormément, au niveau du visage. Nos yeux sont de la même couleur et de la même forme, tout comme nos cheveux. La seule différence réside dans le fait que ses pommettes soient plus marquées et qu'il porte ses cheveux longs accrochés en catogan.

— En catogan ? Il vit au dix-septième siècle ou quoi ?

— Absolument pas, il a toujours détesté l'histoire. C'est juste qu'un jour, quand il était petit, ma mère l'a coiffé ainsi et cela ne l'a plus jamais quitté. Il ne met pas de nœuds ou autre, un simple élastique suffit. C'est uniquement la forme de la queue de cheval qui rappelle le catogan.

Valentin sourit, m'imaginant sans doute avec les cheveux longs, comme Callahan. J'essaie de capter son attention en reprenant la parole.

— Je te retourne la question, à qui ressembles-tu le plus dans ta famille ?

— Ma chevelure dorée et mes yeux couleur océan — il fait de l'autodérision, c'est certain — me viennent de ma mère. De même que ma peau, parce qu'elle a des origines brésiliennes. La seule chose que je tiens de mon paternel, ce sont mes yeux ronds comme des billes. Alors pour répondre à ta question, je ressemble à ma mère et pour être honnête, j'en suis bien heureux.

— Pourquoi ? demandé-je, ma curiosité piquée au vif.

— Ne t'inquiète pas, je ne vais pas partir dans d'immenses laïus sur le fait que je déteste mon père parce qu'il me bat ou qu'il boit à longueur de journée. J'ai un père normal que j'aime par-dessous tout, crois-moi. C'est juste... parfois, j'ai l'impression que tout le monde, que ce soit hommes ou femmes, se ressemble. Et c'est franchement triste.

— Tu me trouves triste à cause de mon apparence ?

Il baisse la tête et se décide à me répondre.

— Non, non, toi tu es différent. Tu n'es pas triste, tu es mélancolique. C'est bien plus beau. Et puis, ta mélancolie ne provient pas de ce à quoi tu ressembles, mais de tes pupilles et ta façon bizarre de regarder le ciel. Je t'ai vu dans le train, tu ne le lâchais pas des yeux. Et il y avait cette petite lueur étrange dans tes iris, à moitié heureuse et à moitié malheureuse. C'était magnifique à observer, à déceler. Si je devais parler de ton visage en général, je dirais qu'il est beau.

Assurément, je devrais virer au rouge tomate et enfourner ma tête dans mes genoux en le traitant d'imbécile et démonter totalement son compliment, faisant comme s'il ne m'avait pas fait plaisir. Mais je ne suis pas comme ces héroïnes niaises. Je souris rapidement, ose le regarder dans les yeux et lui lance un simple remerciement.

— Merci ? Depuis quand tu dis merci quand on te fait un compliment ? C'est gratuit, pas besoin de me remercier, vraiment.

— Ce n'est pas une première pour moi, mais c'est la première fois qu'il est sincère et sans but caché, comme me séduire par exemple.

— C'est vrai, rit-il de bon cœur, c'était totalement désintéressé, pas de but caché de séduction ou un autre truc du genre.

— Quand on fait quelque chose pour quelqu'un, cela ne peut pas être totalement désintéressé. Tu t'attends sûrement, dans ton for intérieur, à ce que je t'en fasse un à mon tour...

Il commence à s'insurger et à faire de grands gestes pour me contredire. Pourtant, je sais que j'ai raison. Je le coupe alors dans son monologue.

— Tes yeux sont les plus beaux qui m'ont été donné de voir.

Je ne le lâche pas et le fixe pour lui faire comprendre que je suis totalement sincère et que je n'ai pas inventé ce compliment sur le tas et dans la précipitation. J'aperçois de petites rougeurs sur ses joues et il baisse la tête en murmurant le même type de remerciement que moi. S'il riait à gorge déployée il n'y a pas une minute, il devient étrangement et subitement... timide. Je ne me serais jamais douté que son caractère possède cette facette, mais mes certitudes quant à sa personne ne sont basées que sur un jugement physique et non sur la connaissance.

Gêné au possible, il fait mine de regarder sa montre inexistante à son poignet et décrète soudainement, en se levant d'un bond, qu'il est grand temps de partir si nous ne voulons pas rater le dernier train qui nous ramènera chez nous. Le chemin vers la gare se fait dans le silence le plus total. Les seuls bruits que nous entendons sont ceux de la forêt qui vit sans s'occuper de nous.

Une fois dans le wagon, je reprends mon activité favorite — regarder le ciel au travers de la vitre contre laquelle je suis appuyé. Valentin n'a toujours pas ouvert la bouche et semble très intéressé par la couleur de ses chaussures, leur aspect ou leur degré de salissure. J'ai presque l'impression d'entendre les rouages dans sa tête, signe qu'il est en pleine réflexion.

Au moment de nous séparer, il me lance un simple geste d'au revoir sans daigner me regarder. Je ne m'en formalise pas et décrète, au fond de moi, que cette amitié n'aura pas duré. J'attrape mon téléphone dans ma poche et fixe longuement mes contacts si peu nombreux. Je suis prêt à effacer l'entrée de Valentin quand mon portable me vibre dans les mains. Je clique sur le message sans réellement regarder l'envoyeur.

> De Valentin Godeau : On se retrouve demain pour le déjeuner, sur le toit ? Je suis désolé pour ma... hum... fraîcheur de tout à l'heure, je réfléchissais à quelque chose et j'en ai oublié le reste. Passe une bonne soirée et une bonne nuit !

Je ne peux pas m'empêcher de sourire et me dépêche de répliquer quelques mots.

> Espèce d'imbécile.

Je m'empresse de rajouter la réponse à sa question.

>Oui, nous mangeons ensemble demain. Bonne soirée à toi aussi.

Un nouveau texto fuse aussitôt.

> Je ne relèverais pas la méchanceté évidente de ton premier message. Je ne suis pas un imbécile. Si vous continuez à m'appeler ainsi, vous vous verrez affublé du sobriquet d'enfoiré.

> Es-tu susceptible à ce point ?Ton insulte est bien plus méchante que la mienne.

> Je le sais, Monsieur, mais je trouve que ce mot vous qualifie particulièrement bien.

> Je ne vois pas en quoi, imbécile

> Crois-moi, c'est le cas, enfoiré. 

Ciel d'été [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant