Janvier - 6

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C'est long, et très franchement, si je m'étais écoutée, ça aurait été encore pire. Sauf que je préfère réserver ça pour le chapitre suivant.


Je me suis toujours demandé pourquoi, dans les œuvres visuelles, les personnages se faisant renverser par une voiture restent complètement statiques, avant de se faire rouler dessus par plusieurs tonnes de tôle. Je trouve cela complètement bête, en me répétant que ces personnages pouvaient facilement éviter un accident ou une mort dramatique en bougeant de quelques centimètres. Que cette transformation en statue de sel arrangeait bien les auteurs et autres créateurs dans leurs ressorts dramatiques.

Mais maintenant que je suis face à ce spectacle, je comprends beaucoup mieux ces personnages. On est figé parce qu'on a peur. Parce que tout notre être est retenu par la peur, par le danger qui se rapproche, encore et encore. On est figé parce qu'on voit les phares allumés ou éteints se rapprocher, encore et encore. On est figé parce qu'on voit notre vie défiler.

Moi, en tout cas, c'est ce que je ressens, alors je ne suis pas à la place de l'accidenté. Je reste figé pendant qu'une voiture rentre dans l'une des personnes les plus importantes à mes yeux. Un drame se joue sur mes yeux et je suis incapable de bouger une parcelle de mon corps. Les pneus qui crissent, les klaxons, l'arrêt du véhicule, les pas sur le bitume. C'est une voix humaine qui me fait sortir de ma torpeur.

- Merde merde merde ! Me dites pas que c'est lui !

Je réagis au quart de tour. Je traverse la route en faisant attention aux autres voitures qui nous contournent. Je m'approche à grande vitesse, mes pouls filent dans mes tempes. Je respire rapidement, en me rapprochant de ce corps immobile. Et je croise deux grandes pupilles brunes que je reconnais immédiatement.

- Merde, Valentin ! Merde, merde, merde ! Pourquoi j'ai pas regardé !

La directrice. La directrice est agenouillée à deux pas de mon petit ami et jure comme un charretier en se prenant la tête entre les mains. De nombreuses mèches se détachent de sa queue de cheval et elle parait en nage alors qu'il ne fait pas chaud, loin de là.

- Madame... chuchoté-je, pour qu'elle reprenne ses esprits.

- Franchement, ça pouvait pas être un inconnu lambda ? Pourquoi tu me fais ça, l'univers ? Pourquoi faut que je renverse le gosse le plus malchanceux de la ville ? Franchement ?

Elle ne m'entend pas. Je ressaie, plus fort. Toujours rien. Je m'approche et me place devant elle. Je suis invisible à ses yeux. Désormais, elle pleure de chaudes larmes, qui dévalent ses joues rouges. Ces sentiments très expressifs me permettent de garder les pieds sur terre et d'être pragmatique. Je n'essaie même plus de la raisonner. J'attrape mon téléphone portable et je compose le numéro des urgences.

- C'est pour signaler un accident de voiture sur Lake Road. Oui, il y a un blessé. Non, je ne l'ai pas touché. La conductrice est avec moi, elle est sous le choc. Elle est en état de choc. Bien. Je reste à proximité.

Je raccroche en tentant de garder mes moyens. Il faut que je les conserve jusqu'à l'arrivée des secours. Il me faut absolument.

- Madame la directrice, tenté-je à nouveau.

Rien. Elle est dans sa bulle, son univers. Elle pleure toujours, en se traitant de tous les noms. Je ne sais pas quoi faire dans ce genre de cas. Je m'agenouille à mon tour, en essayant de ne pas regarder le corps immobile de Valentin. J'avale un sanglot lorsque je comprends qu'il respire toujours. Il est en vie.

- Harper... s'il vous plaît.

Même son prénom ne la fait pas réagir. Je tente une petite pression sur son épaule et elle se retourne vivement. Je ne sais pas comment elle fait pour me reconnaître derrière ce flot de larmes, mais elle se jette dans mes bras en m'appelant par mon nom.

Ciel d'été [BxB]Onde histórias criam vida. Descubra agora