Octobre - 3 / TW

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TW : Suicide, mort, mutilation, accident, sang


Il se tait, tout en écarquillant les yeux. Ses doigts se resserrent contre les miens. Il n'ouvre pas la bouche. Alors je comprends qu'il faut que je continue. Je ne lâche pas une bombe sans en expliquer la raison.

- C'était en novembre, il y a presque un an. Ils sont partis au Brésil pour rendre visite à ma grand-mère maternelle et leur avion s'est crashé au plein milieu de la mer. Peut-être que t'en a entendu parlé, c'était à la télé pendant quelques jours. On a jamais retrouvé leurs corps. Mon parrain, Walter, qui bouge énormément dans tout le pays, était censé être là. Mais pendant leur séjour, j'étais tout seul. J'étais tout seul quand j'ai appris la nouvelle, parce qu'il venait de partir en voyage pour des recherches. C'est comme ça que je me suis retrouvé à la cascade. La souffrance était si forte que je ne pouvais décidément pas rester en place. J'ai pris le premier train qui est arrivé et j'ai foncé sans réfléchir, quelque chose que j'adore faire.

Je m'arrête et il serre plus fort ma main droite. Je me laisse faire, anesthésié. Ce n'est pas la première fois que j'en parle ; il y a eu ce gars sur le toit, que je ne connaissais pas du tout. Il y a eu Charles et Konstantin. Il y a eu Daisy, forcément, puisqu'elle était là à l'enterrement. Tentant de cacher l'émotion de ma voix et tout ce qu'elle peut contenir, je continue.

- Ma mère adorait la poésie. Elle disait tout le temps que c'était un vestige de sa vie en France, de ses études de lettres et du peu de temps qu'elle a passé comme prof dans un lycée de banlieue à faire aimer la littérature à des délinquants. Avant qu'elle ne meure, je me foutais complètement de la littérature. Je détestais ça. J'enchainais conneries sur conneries, que ce soit au lycée comme à la maison. J'crois... j'crois que j'avais un besoin de reconnaissance. A l'enterrement, j'ai lu un poème de Baudelaire, le préféré de ma mère. Mon père lui avait lu quand il l'a rencontrée et c'est grâce à lui qu'ils sont tombés amoureux. Alors quand je t'ai entendu en juin, au plein milieu de ton cours de littérature, déclamer un poème du même recueil, j'ai eu le souffle coupé. Parce que j'avais l'impression d'entendre ma mère.

Lire de la poésie c'est comme un hommage que je lui fais. C'est elle, dans un certain sens, qui m'y a donné goût. A la maison, elle avait des dizaines de livres traitant du sujet. Dans la semaine après sa mort, je passais mes journées dans son bureau à lire. Je ne comprenais pas tout, mais au moins, ça atténuait la douleur dans mon cœur.

Cette fois-ci, des mots franchissent ses lèvres, comme par automatisme.

- Et ton père ? Parle moi de ton père.

Un léger silence s'installe et je ne le brise pas. C'est vrai que je n'ai parlé que de ma mère.

- Mon père était commercial, mais là n'est pas l'important. Il n'aimait pas vraiment son métier mais il nous permettait de vivre, même si ma mère enseignait encore dans un lycée en temps que prof de français - mais elle ne gagnait pas beaucoup. Ce qui faisait de mon père un être exceptionnel, c'était son immense talent pour la peinture. C'est d'ailleurs grâce à lui qu'il a rencontré ma mère. Il exposait dans une petite galerie tenue par un ami de ma mère, en France. Elle est venue à l'inauguration et ils se sont parlé. Au début, ma mère trouvait ses tableaux totalement hideux - et c'était vrai, c'était très sombre et pas assez coloré. Mon père a rit en avouant à ma mère que c'était lui le peintre. Elle a été toute gênée et s'est s'excusée. Mon père lui a alors dit qu'il n'aimait pas ce tableau non plus mais que le galeriste le trouvait magnifique. Il a demandé son numéro à ma mère - elle lui pas tout de suite donné d'ailleurs - pour qu'il puisse l'avertir quand un tableau plus coloré serait réalisé. Quand ils se sont revus à l'atelier de mon père, ma mère avait pris son recueil des Fleurs du Mal. Mon père lui a subtilement emprunté et il a lu celui sur lequel elle était arrêtée. Ma mère venait juste de poser les yeux sur le tableau que mon père désirait lui montrer. Je crois qu'elle est tombée amoureuse en regardant et écoutant.

Ciel d'été [BxB]Nơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ