Novembre - 4

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C'est court, c'est le seul du week-end, et vous allez encore avoir envie de me tuer (mais sachez que si vous habitez la Bretagne, et plus précisément Saint-Malo, vous pourrez me zigouiller le 17 avril en après-midi. Pour prendre rendez-vous, c'est par MP)


- Tu rentres tôt aujourd'hui.

Voilà la réflection à laquelle j'ai droit en entrant chez moi, après mon passage à l'hôpital. Je tremble depuis que je suis sorti, et j'ai du me tenir aux barres dans le bus, pour éviter de tomber, ce qui ne m'arrive presque jamais, avec mon excellent équilibre. Mais il faut que je sois fort et que je reprenne contenance. Parce que ce que je viens de faire n'est qu'une première étape. La seconde est tout aussi complexe : parler à mes parents, calmement, et tenter de leur faire comprendre mon évolution. Je n'ai rien préparé, espérant que mon cœur fasse son travail et que je parvienne à leur transmettre tous mes sentiments. Je pose donc mes affaires dans ma chambre et vais rejoindre le reste de ma famille dans le salon, devant une émission de talk show qui ne m'intéresse pas du tout. Je prends une grande respiration et commence.

- J'ai rompu avec Valentin. Pour un temps. Pour me permettre de me concentrer entièrement sur notre famille et sa reconstruction. Je n'en peux plus de me battre avec vous, d'être tout le temps sur la défensive. Je vous aime de tout mon coeur, et inconditionnellement.

- Eliot...murmure ma mère en passant une main sur mon épaule, chaleureuse.

- Je ne veux pas me renier. Je suis comme je suis, je suis toujours votre fils, je suis toujours le même, musicien, passionné par le ciel et les bons romans. Je suis quelqu'un de bien, je crois. C'est ce que je voudrais vous dire ce soir. Que je vais faire des efforts dans mon comportement, parce que je veux vous prouver que je tiens à vous.

- Et comment comptes-tu le faire ? fronce mon père, sceptique.

- En passant tout d'abord la soirée avec vous, en arrêtant de me cacher dans ma chambre.

- Oh. Nous avons l'honneur d'avoir le droit à ta présence.

Je souris discrètement. Je sais d'où me vient mon art du sarcasme. Mais, décidé, je ne cède pas à l'envie de lui répondre sur le même ton.

- Exactement. Et je m'excuse pour mon comportement à la boutique. Le plus étrange, c'est que j'aime m'occuper des plantes.

- Ah bon ?

J'étonne mon propre père, qui écarquille légèrement les yeux. Mon sourire s'élargit et je me tourne totalement vers lui.

- Oui. Elles sont délicates, et très belle. Parfois, lorsque vous créez un bouquet, Callahan et toi, j'ai l'impression que vous êtes des peintres, d'une certaine manière. Et les clients sourient toujours lorsqu'ils quittent notre boutique. C'est plaisant à voir.

- Tu pourrais être fleuriste ?

- Probablement.

Les yeux noirs de mon père commencent à briller et il continue à me poser des questions sur les fleurs et les plantes. Et pendant cette soirée, je retrouve le sourire de mon papa, grâce à moi.

***

Cette nuit, je rêve. C'est l'une des premières fois que je me souviens si bien d'un rêve.

Je suis sur un pont, au-dessus de la mer. Il n'y a rien d'autre autour de moi, mis à part ce pont qui s'étend sur des kilomètres et des kilomètres. Je marche sans but, regardant mes baskets et comptant le nombre de pas que je fais. J'en suis au cent troisième lorsque j'entends une voix planer au-dessus de moi. Curieux, je m'arrête dans ma marche et je lève la tête, cherchant la source de cette voix. Il s'agit du ciel qui s'adresse directement à moi.

- Je croyais que nous étions amis Eliot...

Peu enclin à entendre des reproches sans me défendre, je lui réponds :

- Nous le sommes. Pourquoi ce passé ?

- Car cette amitié appartient désormais au passé. Tu ne la mérites plus. Tu ne mérites plus de lever les yeux vers moi, tu ne mérites plus que je te laisse m'apprécier comme je le fais depuis plusieurs années.

- Mais pourquoi ? Qu'ai-je fait ?

- Tu es devenu comme le reste du monde. Une machine sans cœur qui ne pense qu'à soi sans penser aux autres. Ces personnes-là me font pleurer et me mettent dans une rage noire.

- Une machine ? Expliquez vous !

- Tu sais, j'ai participé à ce changement dans ton cœur qui a eu lieu entre le mois appelé « Juillet » et son voisin « Août ». J'ai vu que ce garçon m'avait pris ma place. Au début, j'étais jaloux que tu ne penses plus à moi de la même façon. Puis, j'ai vu que tu ne me remplaçais pas, mais que tu me complétais, tu l'associais à mon idée. Je me suis senti touché. Mais maintenant, il n'y a plus d'association, plus de ce garçon. Parce que toi, la machine, tu l'as jeté sans te préoccuper de lui. De ce fait, tu ne mérites plus de me regarder.

Le ciel se transforme subitement, changeant sa belle couleur bleue pour un noir des plus sombres. La pluie tombe drue sur mes épaules, se métamorphosant peu à peu en grêle. Je tente de les éviter, mais je me fais blesser. Dans un accès de maladresse, je dérape et me retrouve les jambes pendant dans le vide, mon corps étant uniquement soutenu par mes mains, accrochées sur la corniche du pont. Les grêlons me tombent toujours sur le crâne et menacent de me faire lâcher.

Soudain, j'aperçois une figure familière qui se penche vers moi. Mettant ma fierté de côté, je demande à l'aide.

- Valentin, remonte-moi s'il-te-plait. Je menace de lâcher.

- Tu m'expliques pourquoi je t'aiderais alors que tu m'as abandonné en ne pensant qu'à toi ? C'est donnant-donnant Eliot.

Et il se détourne de moi, sans un mot de plus. Mes dernières accroches cèdent et je me sens chuter vers le vide.

La culpabilité frappe dans mon coeur au même moment que les larmes viennent poindre au coin de mes yeux, grands ouverts. Je les laisse couler sur mes joues, parce que j'en ai tout simplement besoin, je le sais. Daisy et Callahan m'ont bien indiqués, à leur manière, de prendre du temps pour moi. Et je sais que pleurer, permettre à mes sentiments de s'exprimer, c'est bon pour moi.

Je sanglote légèrement, je renifle et je commence à chercher des mouchoirs. Je remets rapidement mes lunettes, décrétant que je ne dormirais pas encore cette nuit. Je ferais le plein de thé demain pour tenir la journée, du moins, je le l'espère. Je me lève donc de mon lit pour trouver de quoi me moucher. C'est à ce moment précis que je l'entends. La pluie sur les murs, sur le toit de ma serre. La véritable, non celle de mon rêve. Il a plu toute la journée, cela s'était arrêté pendant le repas. Je n'ai jamais été fasciné par l'eau descendant du ciel, particulièrement parce qu'elle me gâche sa si belle couleur bleue. Cela me rappelle une certaine conversation, au lycée. Que le ciel n'est qu'un toile tendue au-dessus de nos têtes. Je grogne légèrement en croisant les bras sur ma poitrine, observant le temps se déchaîner. Et finalement, une idée étrange me prend. J'ouvre la porte fenêtre d'un grand coup, et je vais sous le torrent. La pluie est vraiment forte, elle me martèle la peau, mais je reste les deux pieds ancrés dans le sol. Et j'ouvre la bouche, je fixe le ciel noir et commence à parler en français, parce que cette étrange langue sort en premier.

- Tu ne m'auras pas, saleté de pluie. Je suis bien sur l'herbe cette fois-ci !

- Tu vas réveiller tes voisins Eliot. Je crois pas que ce soit une bonne idée.

Je regarde partout autour de moi, à la recherche de cette voix que je connais bien. Et enfin, sous les traits étranges de cette pluie drue, je devine ceux de Valentin.

Ciel d'été [BxB]Where stories live. Discover now