Juin - 7

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Je marche à petite vitesse, les yeux rivés sur mon téléphone, si bien que je manque de percuter mon grand frère en passant la porte d'entrée. Je m'excuse vaguement, ce qui n'est pas dans mon habitude, j'enlève mes chaussures en gardant toute mon attention sur l'appareil téléphonique et je me rends dans ma chambre faire mes devoirs.

Je suis installé à mon bureau, penché sur des mathématiques trop faciles pour moi, quand Callahan se montre enfin. Je m'attendais à sa visite, après notre rencontre fugace dans l'entrée. Il entre tout doucement, comme si le moindre bruit pouvait me déranger.

— Le sol de ma chambre n'est pas recouvert d'œufs, tu sais, tu peux marcher tranquillement.

— Je ne veux pas te gêner, petit frère, tu sembles si concentré sur ce que tu fais... Ce sont des maths ?

— Si tu les voyais. En plus de faire des fautes dans les démonstrations, ce professeur de mathématiques nous prend pour des imbéciles avec ses équations.

— Je ne parlais pas de tes exercices, mais ton attrait plus que certain et assez soudain pour ton téléphone portable. Serait-ce... une personne que tu as rencontrée à l'école ?

— Oui, c'est un garçon.

— Ce fut rapide, pour un coming-out.

Il sourit en me faisant un clin d'œil, avant de se rapprocher de moi, peut-être pour me prendre dans ses bras. N'aimant pas particulièrement ce type de contact, je l'arrête avec une main devant moi.

— Ce n'est pas ce que tu crois. Je ne comprends pas cet attrait soudain pour ma vie amoureuse, mais ce n'est qu'un ami. Un simple camarade.

— Oh, c'est dommage... J'aime bien ce rôle de Cupidon avec toi, surtout que je sais que ça t'énerve. Mais je suis content que tu te sois fait un ami autre qu'un bouquin dans cette langue bizarre.

Il fait assurément référence au français. Ne faisant pas de remarque, je lui réponds sur un ton légèrement sarcastique.

— Lui et son amitié se sont un peu imposés à moi sans que je ne demande rien. Figure-toi qu'il parle, pour reprendre tes termes, cette langue bizarre qui est en fait du français, et qu'il lit de la poésie à la bibliothèque, comme moi. Je crois que pour lui, cela a été un coup de foudre.

Je n'ose pas rajouter que pour moi, ce n'est pas le cas. Mon grand frère a trop tendance à s'inquiéter pour moi et lui mentir gentiment sur la nature de mes relations avec Valentin — le fait qu'il croit que c'est mon ami — ne peut lui faire que du bien.

Callahan est le seul à savoir pour la poésie, tout comme pour les nombreuses heures que je passe à la bibliothèque parce qu'on m'a exclu de cours. Il ne me soutient pas dans mon entreprise, me reprenant sans cesse sur cette attitude qui risque de me jouer des tours l'année prochaine, mais il ne me juge pas non plus. Et le plus important est qu'il garde le secret en ne répétant rien à nos parents.

Mon téléphone continue de vibrer pendant notre conversation et mon bureau n'arrête pas de trembler de ces assauts incessants. Je vois mon frère sourire et se lever de la chaise sur laquelle il se trouve. Il quitte ma chambre en me prévenant que le repas sera prêt dans un quart d'heure. J'en informe mon interlocuteur virtuel pour qu'il stoppe son flot de messages qu'il envoie lorsque je ne réponds pas dans la seconde. Je le rassure également quant à mon retour, une demi-heure plus tard. Enfin tranquille, je finis mes devoirs et descends avec mes parents. Le reste de la soirée, j'alterne entre mon téléphone et un livre à lire pour la littérature anglaise. Au moment de me coucher, je souhaite bonne nuit à Valentin — même si je l'avais déjà fait — et m'endors paisiblement.

La journée suivante, ainsi que tout le reste de la semaine se passent d'une manière similaire. Valentin me rejoint au coin d'une rue — il a insisté, même si son trajet s'allonge — et nous nous rendons ensemble à l'école. Il se tient dehors avec moi — qui regarde le ciel — jusqu'à la première sonnerie et nous nous retrouvons aux pauses. À midi, nous mangeons sur le toit, moi enroulé dans mon écharpe légère, lui sans sa veste d'uniforme. Comme aucun de nous n'est inscrit dans une activité extrascolaire, nous rentrons ensemble.

Au départ, son intrusion dans ma vie m'énervait au plus haut point, et je rejetais ses tentatives d'approche. Je ne supportais pas l'impression d'avoir de la glu ou un vieux chewing-gum collé sur la semelle de mes chaussures. Les messages le soir ne me dérangeaient pas, il me suffisait de ne pas y répondre. Mais même en l'ignorant du mieux que je puisse, il ne relâchait pas et ne perdait pas son enthousiasme presque maladif vis-à-vis de notre nouvelle amitié.

Juin s'écoule de cette manière. Je ne me montre pas spécialement amical envers Valentin, qui prend toujours ce malin plaisir à m'attendre à chaque moment de la journée que nous ne passons pas ensemble. Mais ce matin, je reçois un message bien différent des autres.

> Je pars en avance. Dois régler un truc. Je n'aurais peut-être pas le temps de te voir ce midi.

Ces quelques mots me mettent dans un étrange état. Je ne sais pas s'il s'agit de déception, mais celui-ci perdure jusqu'à mon entrée dans l'école. Je m'arrête au niveau de mon casier pour déposer les livres de cette après-midi et alléger ma sacoche, que je porte en bandoulière. Puis, mes yeux accrochent une feuille placardée sur les murs blancs du couloir. Et je me frappe le haut du crâne. Les leçons de cette journée sont totalement annulées, pour que nous nous consacrions à nos maisons respectives.

Comme beaucoup de Grammar School au Royaume-Uni, non sans rappeler un certain sorcier à la cicatrice reconnaissable, nous possédons des maisons qui sont au nombre de quatre. Lorsque je suis entré à Clear Lake, j'ai été placé dans l'une d'elles. Ma cravate bleue indique d'ailleurs mon appartenance à la maison C.S Lewis.

Pressé, je me dirige à toutes jambes vers le gymnase, où nous sommes censés nous réunir pour le dernier meeting de l'année scolaire. Je vérifie que je suis parfaitement bien habillé en me détaillant dans une fenêtre et je me fais bousculer par quelques year 14, qui se moquent de moi et de mon souci de l'apparence. Toutes ces paroles me passent au-dessus de la tête et je les ignore proprement. Mon frère dirait qu'ils sont simplement jaloux de moi.

Ciel d'été [BxB]Where stories live. Discover now