Chapter 3

2.4K 208 71
                                    


C'est le plus beau des tableaux que je puisse vous décrire. Et je ne vous dis pas cela parce que je me délecte de voir les gens s'emmêler dans des conciliabules sans fin.

Non pas que le 221b de Baker Street soit un palace non plus, que du contraire : si je dois assurer le ménage là-dedans, je vais devenir vassale de la poussière ! Mais surtout parce que je me réjouis de l'ambiance bordélique qu'il règne entre les trois hommes. Visiblement, deux fronts ne s'opposent pas comme je l'imaginais. Les deux frères se chamaillent et le troisième s'écrase. Ça crie, ça geint et pour peu, je suis sûre qu'ils en viendraient aux mains.

Je suis étonnée de constater que ma nervosité s'est envolée. La présence du nommé Sherlock n'a plus du tout l'air de peser sur ma conscience, mais plutôt de m'apaiser. Curieux, non ? Sa façon de se déplacer dans la pièce de façon anarchique tout en faisant part de ses pensées à voix haute en mâchant ses mots... mieux qu'un tour dans un grand huit je vous dis ! Vous savez, je ne demande pas à ce que vous compreniez, mais au moins il me distrait.

Et puis, il y a ce regard, tantôt perçant, tantôt fuyant. Ses courtes boucles qui lui retombent sur le front... Je suis d'une jalousie capillaire ignoble ! Pour peu, il me plairait. Tout de même, soyons réaliste, je suis veuve depuis peu... Je ne craque pas, je n'aime personne, c'est connu !

– Mademoiselle Selens ? entends-je dans un français maladroit.

Je sais que l'homme qui s'adresse à moi est l'auteur du blog que Mycroft m'a présenté dans l'avion : John Watson. Il s'est brièvement présenté quand j'ai passé la porte. Je comprends aussi son désarroi : depuis mon arrivée, je n'ai pas prononcé un mot et je me contente de tous les fixer à tour de rôle, debout au milieu de tout ce fatras. Il s'inquiète, je réponds froidement.

– Hakan, appelez-moi juste Hakan. Excusez-moi mais... Est-ce que c'est toujours comme cela avec eux ?

Je désigne les deux frères se disputant du bout de ma canne. Le médecin hoche la tête puis ajoute.

– Et vous n'avez encore rien vu. Vous désirez vous asseoir ?

– Sa jambe ne la fait pas souffrir, John, intervient Sherlock, Ne la prends pas en pitié !

Tiens donc, le cadet m'a donc déjà détaillée ? Je pensais qu'il n'avait pas encore remarqué ma présence jusqu'alors. Il poursuit tandis que mon sourire s'illumine.

– Elle ne s'appuie pas sur sa canne, elle a même plutôt tendance à la traîner. Si elle a déjà eu besoin d'une canne auparavant, elle peut très bien s'en passer aujourd'hui. D'ailleurs, cet instrument fait grincer le parquet, comme si elle était beaucoup plus lourde qu'une simple canne d'apparat.

– Intéressant, dis-je, Dans ce cas, pourquoi m'en encombrerais-je ?

– C'est une arme, affirme-t-il simplement.

Pour la première fois depuis mon arrivée, il me regarde dans les yeux. Maintenant, reste à savoir si je lui semble hostile ou si j'ai l'air d'une alliée : lui-même ne paraît pas avoir choisi.

– Intéressant, je dis en baissant les yeux.

– Si cela vous impressionne... commence John.

– Je n'ai pas dit ça.

Là, c'est certain, je suis le centre de l'attention. Certes, je mens un peu : je suis bluffée que cet homme ait trouvé si rapidement. Néanmoins, je ne dois pas me laisser surprendre. Je décide de m'asseoir sur le sofa sans demander la permission, sans même me soucier des trois paires d'yeux qui suivent mon déplacement.

Une colocataire irascibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant