Chapter 38

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Arrivée devant Selens Incorporation, je m'empresse d'entraîner Sherlock vers le premier vigile que je reconnais bien. Victor assure la sécurité des lieux depuis notre installation dans ce bâtiment.

— Madame, commence-t-il avant de se corriger, mademoiselle Selens.

— Victor, dis-je sans m'émouvoir. Tout se passe bien ?

— Rien à signaler pour le moment, m'affirme le gardien, mais les invités arrivent à peine. Votre retour marque les esprits et attire les journalistes.

— Ils vont vouloir s'immiscer pour prendre des photos, je soupire. N'hésitez pas à surveiller les alentours au cas où, je ne tiens pas à ce qu'ils y parviennent.

— Ils ne savent pas encore ce qu'ils ratent, s'amuse Victor en me lançant un clin d'œil.

Par réflexe, notre bon vieux agent de sécurité prend les invitations que tend Sherlock. De mon côté, je détourne les yeux, le temps d'encaisser le compliment. Je sais quand une personne se veut sincère ou rester polie. Et avec Victor, je peux dire avec certitude qu'il n'est pas du genre à faire des politesses : il brille plutôt par sa franchise. Si lui se permet de genre de réflexion, je me demande ce que me réserve les autres lèche-bottes qui sont invités à la réception.

— Vous êtes d'abord attendue au bureau, comme d'habitude, m'explique alors Victor. Ne traînez pas : vous êtes les derniers.

— Ça, c'est plutôt une bonne nouvelle, je ricane.

De ma main libre, l'autre tenant la pochette intégrée de ma canne, je m'empare des doigts de Sherlock et je l'emmène à l'intérieur du bâtiment. Comme l'a précisé le vigile, nous n'entrons pas directement dans la grande salle consacrée aux événements, mais nous empruntons les deux ascenseurs qui se trouvent directement sur la droite. Notre bureau est à l'étage.

— Vous préparez votre entrée, n'est-ce pas ? Se renseigne mon ami une fois dans la cage métallique.

— C'est ça, et puis, nous faisons un petit briefing avant de nous mêler aux invités.

— Briefing ? Se lasse-t-il déjà. Hakan, vous ne cessez pas de travailler.

— Dis, donc, vous êtes mal placé pour parler comme cela, je prends la mouche. J'essaye au moins de dormir la nuit, contrairement à vous.

— J'ai eu quelques affaires prenantes, ces derniers jours, admet mon colocataire.

— À d'autres ! Dis-je en levant les yeux au ciel.

Quand nous traversons le court couloir vers mon bureau, je pousse à peine la porte que j'entends déjà une nuée d'exclamations. Je pense que celui qu'on a entendu le mieux, c'était Leif, avec un cordial :

— C'est pas trop tôt !

La plaisanterie tombe à l'eau quand je vois son petit sourire forcé, le même que porte ma cousine. À leurs côtés, leurs accompagnateurs respectifs.

— Vous pourriez, je les soudoie, arrêter de me regarder comme si j'allais mourir. Et puis, quand on est poli, on dit « bonsoir. »

On se force tous à se détendre en riant faussement, tous les six. C'est la première fois que je me montre à nouveau en public pour des représentations du genre, depuis la perte de mon père et mon cousin. Leif et Lizzy savent à quel point cela m'affecte, combien les souvenirs qui me reviennent à chaque seconde peuvent me faire du mal.

Enfin, ils sont convaincus de savoir. En vérité, je n'arrive pas à accepter que nous sommes au complet, dans ce bureau. Que le clan Selens soit entièrement présent, sans mon géniteur qui prétend ne pas être tendu le moins du monde, sans Klaus qui sert mes doigts pour me rappeler de respirer, sans ma débile de tante pour ramager à chaque heure qui passe que l'oncle David aurait adoré cette soirée...

Une colocataire irascibleWhere stories live. Discover now