Chapter 65.5

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Presque 2700 mots pour ce demi-chapitre, c'est de l'inédit !

Quand j'y songe, définitivement, les chapters 65 et 65.5 auraient dû être les 65 et 66. Cependant, je n'ai pas pu m'en empêcher d'en rajouter, encore et encore. J'espère juste que cela vous plaira, en dépit de cet arrangement un peu foireux.

Si vous voulez vivre les montagnes russes émotionnelles d'un bout à l'autre comme il se doit, je vous conseille vraiment de relire d'un coup le chapitre précédent avec celui-ci en plus. Vous saisirez plus facilement le but qui était recherché quand j'ai commencé l'écriture du chapitre 65 : un feu d'artifice d'émotions fortes, un déluge d'événements mineurs et majeurs qui emportent Hakan dans un tumulte qui lui échappe complètement. 

Je ne vous en dis pas plus pour le moment, je préfère vous laisser découvrir...

Bonne lecture !


Vous savez quand on dit qu'un moment de honte est vite passé ? Dans mon cas, c'est entièrement faux. C'est comme pour les échecs que j'ai pu rencontrer dans ma courte existence : je les ressasse sans arrêt.

D'abord, j'analyse le problème. Ensuite, la cause. Puis, j'aborde toutes les hypothèses pour que cet échec ne se reproduise plus. Ce processus est parfois très long avant de s'achever. Voilà pourquoi je ne peux pas faire un deuil en un claquement de doigts. Particulièrement quand la perte de la personne que vous chérissez est liée à la conservation de votre propre vie.

Heureusement, chez les Selens, faire bloc et rester immuable deviennent une seconde nature. On trouve toujours une parade pour évacuer tracas, colère et toutes les autres contrariétés. J'ai conservé mon masque durant le petit-déjeuner, j'ai entretenu une conversation décousue avec madame Holmes qui m'a gentiment proposé de voir les albums photos de leur famille après cela. Je crois avoir accepté par politesse.

Mais je suppose que la seule chose qui vous martèle la tête et vous brûle les lèvres est de savoir si je suis toujours la même à l'égard de mon colocataire, n'est-ce pas ?

Curieusement, oui. Cet épisode ne m'entrave pas, mais ne me rend pas plus courageuse pour autant. Nous avons toujours nos habitudes, nous agissons toujours de concert sans même nous parler. C'est d'ailleurs monsieur Holmes qui s'en amuse.

— Regardez comme vous êtes coordonnés, dit-il en riant, on dirait que vous êtes sous le même toit depuis des années.

— Je vous demande pardon ? Je l'interroge.

— Vous ne vous en rendez même pas compte, intervient alors Mycroft. Mon frère s'est servi du thé, a rempli votre tasse alors que vous avez mis deux sucres dans la sienne. 

— Je sais qu'il en prend deux, je me justifie. Il est occupé à faire le service, je peux bien lui passer le sucre.

— Inutile de vous montrer féroce, Hakan, me dissuade Sherlock en piquant mon couteau à beurre. C'était un constat de la part de mon frère, pas une menace.

— On sait jamais, avec lui, je maugrée.

— Je pensais que vous ne me détestiez pas, me nargue alors le frère aîné.

— Non, mais qui aime bien châtie bien, je rétorque, alors méfiez-vous.

Je force un sourire. Néanmoins, mes yeux sont encore bien sombres quand je le regarde. Je ne regrette pas le baiser donné par son cadet, mais je n'ai pas apprécié d'avoir été piégée. J'aurais tant aimé être dans la connivence, au moins ! Histoire de ne pas perdre pied, tout simplement.

— Vous faites quelque chose avec votre famille le jour de Noël, Hakan ? Change intelligemment de sujet la mère des garçons.

— En général, on ouvre les cadeaux, Leif joue du piano... Et allez savoir pourquoi, mais Quentin prend toujours sur son jour férié pour venir faire des crêpes dans la cuisine. Alors, on insiste toujours pour qu'il passe un peu de temps avec nous... Charles aussi, d'ailleurs.

— Vos employés de maison, demande confirmation monsieur Holmes.

— C'est ça, j'acquiesce. Après tout, ils n'ont plus de famille, nous sommes devenus un peu la leur, par la force des choses. Ils peuvent bien passer Noël avec nous. En général, on regarde une série de films de Noël avec eux.

— Vous avez l'air de beaucoup les aimer, s'attendrit madame Holmes.

— Vous n'imaginez pas à quel point l'estime que j'ai pour eux dépasse l'entendement. Ils ont toujours été là, ils ont été des infirmiers, des gardiens, des policiers, des juges, des précepteurs, des compagnons de jeu... J'en passe et des meilleures ! Mon père a financé leur union, il a cédé la dépendance de notre propriété à titre gratuit pour qu'ils conservent un logement jusqu'à la fin de leur jour. J'ai même appuyé leur dossier de candidature pour adopter un enfant peu de temps avant que je ne vienne vivre à Baker Street.

— Vous en faites même un peu trop, s'immisce Mycroft.

— Bien sûr que non ! Je m'énerve. Vous savez quoi ? Je pense même que tout cela reste bien trop peu pour tout ce qu'ils ont déjà fait pour nous, pour tout ce qu'ils continueront de faire pour notre famille. On ne sera jamais quitte de la dette qu'on a envers eux.

C'est sur cette dernière note que nous avons achevé le petit-déjeuner (copieux). Alors que les garçons sont sortis prendre l'air quelques minutes, je me propose pour débarrasser et m'enquérir de la vaisselle. En réalité, je sais que les deux frères sont surtout en train de discuter autour d'un mégot de cigarette. Si Sherlock veut éventuellement régler ses comptes avec son aîné, je préfère ne pas être dans les parages pour le moment.

Quoique, n'oublions pas que je suis la seule affectée par ce sentiment étrange. Mon colocataire ne s'encombre pas de telles choses. Cela a peut-être pu l'amuser, mais pas l'émouvoir. Je sais qu'il ne m'en voudra pas, qu'il ne se jouera pas de moi non plus au sujet de ce baiser. Cependant, j'aurais aimé savoir ce qu'il en a pensé, juste pensé. Je ne demande pas de connaître ce qu'il a ressenti, puisque ce serait inutile. Simplement... Avoir son avis. Comme je l'ai déjà fait avec lui pour choisir un vêtement ou un restaurant. Il faudra donc que j'aie une conversation avec lui, un peu plus tard. Peut-être pas aujourd'hui, ni demain, mais plus tard.

Je suis encore aux prises avec mes réflexions quand mon portable se met à sonner dans ma poche arrière. Il s'agit de la sonnerie personnalisée que Leif s'est attribuée : celle en référence à son départ à l'université, alors que restais sur Bruxelles. À cette époque, j'avais eu tant de mal à endurer son envol... Et dire que je m'étais tant battue pour qu'il réussisse... J'essuie mes mains pleines de mousse (décidément, j'ai mis trop de produit vaisselle dans l'évier) et décroche. Pensant que cela ne durerait pas longtemps, j'enclenche le haut-parleur pour continuer ma besogne sans peine.

— Joyeux Noël, petit frère ! J'entonne immédiatement avant qu'il ne dise quoi que ce soit.

— Hak... Je l'entends avec une voix déconfite.

— Darling ? Je peine à le reconnaître. Qu'est-ce qu'il se passe ?

— Rien, c'est pas grand-chose, t'en fais pas... Tu sais comment je peux être, parfois.

Bon, d'accord, une mouche écrasée pourrait le faire pleurer à chaudes larmes, sa sensibilité est telle qu'il passe son temps à jouer aux montagnes russes avec ses émotions. Toutefois, quand il est abattu comme cela, je ne peux jamais me résoudre à me dire que ce n'est « rien. » Il me faut toujours en être juge avant de le laisser affronter ses états d'âmes tout seul.

Une colocataire irascibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant