Chapter 28.5

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Attention au média ! Les premières secondes n'ont RIEN à voir avec le reste de la chanson ! Ce clip me fait tellement rire...

*


Step pour la simulation des escaliers, exercices de souplesse sur les différentes articulations... Très vite, je franchis tous les paliers des différents tests. Il ne me reste plus que l'ultime douleur : le tapis roulant.

Je ne suis pas seule dans la salle de rééducation : plusieurs patients passent en même temps sur les différents engins de tortures. Les uns retrouvent peu à peu l'usage de leur bras, ou leur moignon, d'autres sont en fauteuil roulant, tentant de quérir un semblant de mobilité. Ce sont les personnes réduites à rester assises toute leur vie sur des roues que je ne parviens toujours pas à regarder en face. Si Whitesorrow n'avait pas été là lors de mon accident, je serais comme eux : posée sur mon séant jusqu'à la fin de mes foutus jours avec une guibolle en moins. On devait m'amputer, on allait m'amputer.

Le kiné, un jeune qui a pris ce poste il y a trois ans environ, m'a connue quand il a commencé. Contrairement aux autres crétins qui sondent mon état de santé, il est cordial et ne me traite pas comme une gamine. Probablement parce qu'on a approximativement le même âge.

Le long d'un mur, Sherlock ne manque rien de mes réflexions profondes qui attisent mon esprit, pendant que mon corps souffre le martyr. Je le rejoins justement pour m'emparer de mes écouteurs dans mon sac. Non, je ne peux pas m'en passer pour cet exercice.

– Vous avez vraiment besoin de ça ? S'enquiert mon colocataire.

– Non, je mens, mais tant que ça hurle dans mes tympans, j'oublie que j'ai mal.

– Il vous suffit de marcher et d'atteindre aisément les 8 km/h, non ?

– Je suis une Selens, Sherlock, je m'arrête pas à la moyenne. Je vais exploser le compteur. Je vais courir.

– Hakan, vous allez vous faire souffrir inutilement, m'avertit Sherlock en me retenant. Je ne tiens pas à vous ramener jusque la gare sur mes épaules.

– Si je ne vous connaissais pas aussi bien, je plaisante, je jurerai que vous êtes inquiet pour moi.

Je lui tourne le dos, tout en branchant mes écouteurs à mon téléphone portable. Puis, j'enclenche le premier album de Trivium que je vois apparaître sur l'écran. J'allume le tapis roulant et lance la première vitesse.

Allez Hakan, progressivement, on y va progressivement. L'appareil est le même qu'il y a deux ans : j'étais arrivée à tenir une minute et vingt-quatre secondes à la vitesse qualifiée de « neuf ». Je vais atteindre la dix cette année, je peux le faire. C'est un peu mon combat.

Ça y est, alors que commence « We are the Fire », je suis déjà à la six, j'ai déjà atteint la vitesse qui est demandée par le kiné et Whitesorrow il y a deux paliers de cela. Je lance un œil au détective qui m'observe, les mains jointes sous son menton, l'air contrit. Mes poumons ne vont pas tarder à commencer à brûler.

Vitesse huit. Je commence à courir pour de vrai, sous l'admiration de mon kinésithérapeute. Trottiner, c'est terminé !  Sherlock s'avance vers moi, m'arrachant un écouteur. 

– Vous avez fait vos preuves, arrêtez maintenant, m'ordonne-t-il.

– J'ai pas fini, je halète à son intention en passant la vitesse neuf.

– Hakan, ravalez votre fierté, bon sang.

– C'est l'hôpital qui se fout de la charité !

– Cessez de vous entêter ! s'énerve-t-il pour de bon.

– Stimulez-moi, je le soudoie. S'il vous plaît. Faites-moi oublier...

Ma jambe commence à flancher. Je ne peux pas me contenter d'attendre de tenir la cadence avant de passer à la suivante, j'appuie sur le bouton et je suis sur la dix. J'ai mal, très mal. J'enlève le dernier écouteur et me concentre sur ce qu'il me dit. J'ai besoin de l'écouter, il me fera cogiter sur autre chose de plus productif.

– Qui peut se cacher derrière le numéro de Klaus Reisman ? Me propose-t-il. Vos pistes, ce sont lesquelles ?

– Hacker... j'articule. Un ancien employé.

Ma respiration se saccade, si bien que mon verbe n'est plus si fluide que d'ordinaire. Je me contente de mots-clés, que le détective comprend sans aucune difficulté.

– Non, Hakan. Vous n'êtes pas stupide, vous êtes capable d'avoir un semblant de raisonnement logique. C'est une personne qui a accès aux archives de votre cousin.

– Il avait... je poursuis, des amis...

Mon doigt pousse à nouveau le bouton, vitesse onze. Ça, c'est une prouesse. Malheureusement, je ne parviens pas à maintenir le rythme, j'ai du mal à tenir ma position sur le tapis.

– Si c'est un ami, c'est quelqu'un qui vous en veut personnellement. Quelqu'un que vous connaissez tous les deux.

– Les connais pas... je souffle.

– Alors ce ne sont pas eux, m'aide le détective consultant. Qui ? Qui d'autre ? Concentrez-vous Hakan !

– Pas... Pas ma famille ! Je m'impose.

– Ne soyez pas bête ! C'est d'abord à votre famille que j'ai pensé. Votre frère vous adule beaucoup trop pour vous faire du mal, votre tante est cinglée et passait des jours heureux dans une clinique quand vos soucis ont commencé. Quant à votre sœur, elle a l'air tout aussi ravagée par les messages qu'elle reçoit, si j'en crois vos observations. Et je sais que vous ne pouvez pas vous tromper là-dessus.

– Pas ma sœur... je peine à dire. Cousine.

– On s'en fiche si ce n'est pas elle ! se retient-il de crier. Quelle autre option y a-t-il ?

– Sais pas...

– Si vous savez, Hakan, insiste Sherlock plus enjoué que jamais. Dites-le !

– Klaus...

Cette fois, c'en est trop pour moi. Je perds l'équilibre, me rétame sur le tapis et dégringole sur le sol. Le choc est tel que je mets un certain moment avant de reprendre mon souffle : mes poumons sont deux torches enflammées. Malgré cela, cette douleur me procure un bien-être inexplicable, puisqu'elle me fait oublier les deux autres. La première, celle de ma jambe, me signifiant que j'ai vraiment dépassé mes limites physiques et que je vais devoir l'assumer sans antalgique durant un bon bout de temps. La seconde, la sensation de ma tête qui explose. Je refusais d'admettre une possibilité quant au responsable de ce harcèlement, mais si Sherlock avance cette hypothèse, c'est que même lui ne peut pas la réfuter dans son entièreté.

– Klaus ne serait pas mort, je saccade aux prises avec ma respiration en souffrance.

– C'est une option envisageable, dit mon colocataire en restant stoïque.

– Ce n'est pas possible, je démens.

– Vous pouvez certifier que c'est impossible ? Demande-t-il en m'aidant à me relever tandis que le kiné n'a toujours pas esquissé le moindre geste vers moi. Vous avez vu son corps ?

– Non Sherlock, je ne peux pas, je m'énerve.

– Alors, achève-t-il, jusqu'à ce que vous le puissiez, ce sera l'option la plus plausible.

Je vérifie que mon portable ait survécu à la chute. Heureusement, l'écran est entier et la coque n'a même pas une égratignure. Néanmoins, un texto s'affiche :

Klaus : « C'est moi qui t'accompagnais, avant. Tu m'as déjà remplacé ? » 

Une colocataire irascibleWhere stories live. Discover now