Chapitre 33 : Kallisté

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Aucune réponse ne se fit entendre, mais la main qu'il me tendit alors parut comme une évidence. Hélène m'avait pourtant averti de ne jamais aller au centre de la source, pourtant m'y diriger me paraissait naturel. J'étais une froussarde, je l'avais toujours été et cela ne changerait certainement jamais, mais ce qui m'avait toujours empêché de fuir la queue entre les jambes se nommait fierté. Ne confondez pas cela avec du courage, j'étais loin d'être l'héroïne modèle, une femme sans peur et futée. J'aimais foncer dans le tas, sans réfléchir, et pleurer ensuite les conséquences de mes actes déraisonnables. Aujourd'hui en était la preuve encore. Mon corps tout entier se crispait rien qu'en regardant cette forme étrange, et malgré cette chaleur étouffante, des dizaines de frissons parcouraient ma peau par intermittence.

— Viens, m'ordonna de nouveau l'esprit.

J'avançai d'un pas, puis deux, sans jamais arrêter de fixer ces deux ombres qui semblaient être des globes oculaires. À chacun de mes mouvements, l'eau ondulait gracieusement dans le sillage qu'avait laissé l'esprit, rendant la scène plus cabalistique qu'elle était déjà. Son bras puissant demeurait toujours en l'air, cherchant désespérément mon contact. Lorsque je tendis à mon tour ma main, pour joindre ma peau à la sienne, mes tremblements m'arrêtèrent subitement.

Pourquoi avais-je si peur ?

Je lançai cette fois un regard paniqué au monstre devant moi, la bulle de songes avait éclaté et la réalité me paraissait plus amère. Mais avant que je ne puisse ramener mon bras vers ma poitrine, l'apparition aquatique agrippa mon poignet. Si l'eau était si chaude sous mon bassin, le liquide qui composait l'esprit était glacial. Je me débattis comme je le pus, mais malgré son corps liquide, sa force était herculéenne. Je me retournai vers le rivage, qui était désormais bien trop loin pour que je puisse m'accrocher à la terre fraîche. Larry sortit de sa cachette et sautillait partout dans la grotte. Il semblait vouloir me dire quelque chose, mais les éclaboussures de l'eau m'empêchaient d'entendre quoi que ce soit. Sur le coup, écouter les conseils d'un furet ne me semblait pas stupide, quand bien même celui-ci ne parlait pas.

— Va chercher de l'aide, Larry ! hurlai-je à pleins poumons.

Le petit animal se dirigea aussitôt par le chemin que nous avions pris plus tôt. Je me concentrai de nouveau sur l'esprit, qui tentait maintenant de m'attirer vers lui. Peu importait les nombreux coups que je lui assénais au visage, ces derniers traversaient avec aisance son corps.

— Viens, me dit-il de nouveau avec sa voix rocailleuse. Viens, et je te montrerais tout.

— Non, non, ! Je ne veux plus savoir ! suffoquai-je en pleurant désormais.

Avant que je ne puisse lui envoyer un dernier coup au visage, il m'attrapa les deux poignets puis plongea brusquement sur moi. Mon corps partit à la renverse.

Même si l'eau n'était pas profonde, je ne réussis pas à sortir la tête de l'eau. J'avais déjà expérimenté la noyade avec Alec. Bien qu'elle était une illusion, les souvenirs de la douleur étaient encore parfaitement ancrés dans ma mémoire.

De nouveau, mon impuissance me terrifiait. Le souffle me manquant, je me retins au départ d'ouvrir la bouche, mais après plusieurs secondes d'efforts surhumains, l'eau trouva finalement l'entrée. Avant de plonger complètement dans les ténèbres, mes dernières pensées s'adressèrent à ma mère.

****

IIIe siècle av. J.-C., Olympe.

Kallisté n'avait jamais aimé les embrassades, et encore moins les preuves d'affection en public. Il débordait d'amour pour son peuple, qui était sa seule et unique famille, mais préférait de loin ces démonstrations chez lui, à des années lumières d'ici. Pourtant, Kallisté se pliait aux us et coutumes de cette culture qu'il connaissait si peu. Il était un étranger, qui plus est, le chef d'un peuple surpuissant, jalousé par toutes les créatures de l'univers. Il aurait pu les balayer d'un revers de la main avec ses flammes faîtes de ténèbres, mais aujourd'hui, il se contentait de sourire aimablement aux convives, de saluer les bonnes femmes qui se collaient à lui avec des mines aguicheuses et des tuniques trop transparentes à son goût, puis d'accepter les coupes de vin qui ne se désemplissaient pas.

GOD'S RETURNOù les histoires vivent. Découvrez maintenant