Après une heure de réflexion, je n'avais toujours pas pris de décision. J'adorais la mythologie grecque et connaissais presque sur le bout des doigts toute son histoire, mais de là à en choisir une en particulier était tout bonnement impossible. Au départ, j'avais songé à faire un tirage au sort, mais ... il fallait que j'impressionne un minimum Alec pour gagner mon pari. Laisser le hasard choisir à ma place ne me paraissait donc pas être très efficient.
Alors, j'avais lu des bouquins, mes cours, des dizaines de magazines et consulté des forums pour savoir lequel était le plus « passionnant », les avis étaient néanmoins multiples. Plus je réfléchissais, et moins j'étais efficace dans mon travail.
Je me levai de ma chaise de bureau pour m'allonger lourdement sur mon lit et fixer le plafond. Me laissant glisser, je soupirai de lassitude jusqu'à avoir la tête à moitié par terre. Toute ma chambre était désormais à l'envers.
Héraclés, Zeus, Achille, Athéna ... étaient tellement basiques et ennuyeux. Je cherchais quelqu'un de fort, certes, mais doté d'une personnalité peu commune, et qui serait sujet à certains mystères. Sous tous les angles, Hadès me paraissait être le protagoniste parfait. En me concentrant davantage, j'étais même persuadée qu'il était l'un de mes dieux préférés. Je n'avais jamais compris pourquoi tout le monde avait en horreur le « méchant » dieu. Il régnait sur les enfers, certes, mais n'était-ce pas l'endroit où tous les morts étaient condamnés à aller ? Hadès n'avait pas eu le choix. J'envisageais même cela comme un sacrifice de sa part. Peut-être avais-je une fâcheuse tendance à interpréter à tort et à travers, voire à être beaucoup trop empathique. Il était une sorte d'anti-héros au même titre que Zeus, qui lui aussi avec commis nombres d'atrocités pour régner sur l'olympe. Qui d'autre aurait aimé être seul dans un endroit aussi lugubre et éloigné des siens ?
— Qu'est-ce que tu fais ?
Un petit cri de surprise sortit de ma bouche, lorsque je vis Hélène avec la tête à l'envers sur le battant de la porte. Je me remis immédiatement en une position plus sérieuse.
— Je suis d'humeur massacrante, si tu veux tout savoir. J'ai pu participer au projet commun sous quelques conditions, mais le problème n'est pas vraiment là. J'hésite à choisir le sujet de mon étude, l'avertis-je en attachant mes cheveux en une longue couette haute.
Hélène se rapprocha de mon lit en tentant de ne pas écraser les nombreuses feuilles volantes qui jonchaient le sol.
— C'est un sacré bazar, effectivement. Qui est ton partenaire ?
J'hésitai un moment avant de lui répondre.
— Ma pauvre ! Pour le coup, je ne peux pas vraiment t'aider, je ne savais pas non plus qui choisir, c'est Ali qui a tout fait à ma place.
— Tu es avec Ali ? La chance ! fis-je en faisant la moue. Je dois impérativement être à la bibliothèque à dix-huit heures en plus.
— Il est dix-huit heures dix, me signala-t-elle lentement en examinant sa montre.
Merde !
Je me levai d'un bond en cherchant mes chaussures dans mon armoire en chêne. Hélène me regardait d'un air amusé tout en m'aidant à rassembler mes affaires. Je partis en trombe de la chambre, avec ma chemise à moitié enfoncée dans mon short. Mais à la moitié du chemin, je me rendis compte que j'avais strictement aucune idée d'où se trouvait la bibliothèque. Et manque de chance, il n'y avait aucun étudiant à cette heure dans le campus, alors que tous les jours passés, je me plaignais de la foule environnante.
Néanmoins, le temps était toujours aussi plaisant.
Une légère brise à l'odeur des pin faisait virevolter mes cheveux, j'aurais pu trouver ça désagréable, mais j'ignorais trop pourquoi, j'étais particulièrement excitée. Alors que je tentai de trouver le plan mural du campus qui m'indiquerait la bibliothèque, je croisai du coin de l'œil Leith dans la forêt. Le soleil se couchant, la forêt était plus sombre que d'habitude, et avec Leith devant elle, l'environnement était devenu plus inquiétant que féerique.
— Es-tu perdue, Ambre ? demanda-t-il en époussetant son pantalon noir.
Il s'approcha d'une démarche féline, mais ce qui me surpris davantage fut ses cheveux. Malgré le vent qui s'était levé, sa coupe était impeccable.
— As-tu perdu ta langue ?
Si je lui disais que je m'apprêtais à rejoindre Alec, je ne l'imaginais pas me laisser m'y rendre tranquillement, éviter le sujet était donc crucial.
— Je ne suis pas perdue, je me baladais seulement.
— Seule ? Tu es trop confiante à mon goût, riposta-t-il avec un sourire narquois.
Il disparut soudainement de mon champ de vision. Surprise je tournai ma tête de droite à gauche, mais il fut plus rapide.
— Tu devrais te méfier des prédateurs qui rodent dans la foret. Tu imagines bien que jamais je ne t'aiderais s'il t'arrivait quelque chose, murmura-t-il à mon oreille.
Je m'écartai brusquement de lui en le toisant d'un air dédaigneux. Il affichait maintenant son rictus mauvais habituel qui avait le don de me donner la nausée.
— Bonne soirée, Ambre. Il repartit en me faisant un coucou de la main, sans me lâcher des yeux puis s'arrêta comme s'il avait oublié quelque chose. Oh ! Et si tu cherches Alec, je l'ai vu à la lisière de la forêt, côté sud. Passe lui le bonsoir de ma part.
Il partit en direction des portes sans se retourner cette fois. J'étais bien trop préoccupée par la colère d'Alec face à mon retard qu'à la menace implicite de cet idiot. Je courus donc en direction de l'endroit qu'il m'avait indiqué, en ayant toute fois à l'esprit que Leith puisse me piéger.
Pourtant lorsque j'arrivai à moitié essoufflée devant un sapin, je reconnu la tignasse corbeau d'Alec, qui se prélassait sous un épicéa. J'avais du mal à discerner les traits de son visage avec la basse luminosité mais plus je me rapprochais, à pas feutrés, et plus je croyais rêver. Alec avait la tête légèrement sur le côté, et les yeux complètements clos. Je ne pus réprimer un petit sourire, lorsque je vis ses bras croisés. Même dans son sommeil, cette posture solennelle ne le quitterait jamais. Une idée folle me vint alors.
Oh j'allais très certainement le regretter toute ma vie, mais je ne fis pas attention à ma voix intérieure lorsque je commençais à sortir silencieusement le téléphone caché dans ma poche arrière.
Je voulais absolument voir les détails de son visage endormi à l'aide de mon flash. Et au passage, une petite photo ne serait pas de trop. Ses longues jambes étaient étendues sur la pelouse verdâtre, et son buste se soulevait au rythme de sa respiration lente. Je me mis accroupie, et plaçai mes pieds autour de ses genoux en faisant bien attention de ne pas le toucher. La fameuse position pipi derrière une voiture.
Si quelqu'un me voyait comme ça, il se serait certainement mépris, mais ce n'est pas tous les jours que je pouvais lui jouer une farce pareille. Je pourrais même l'utiliser comme un atout lorsque que je lui demanderai de m'aider à retrouver la bague d'Hélène. Je tremblais presque lorsque j'appuyais sur l'appareil photo, mais je réussis à prendre deux clichés.
J'étais assez surprise qu'il ne se soit pas réveillé, lui qui avait des réflexes presque similaires à ceux des animaux. Je fis bien attention de faire le moins de bruit possible lorsque je m'écartais et pris appui à ses côtés, contre le tronc. Je fermais doucement les yeux en soupirant d'extase. C'était drôlement apaisant d'être plongée au cœur de la forêt. Le cours d'eau environnant en bruit de fond, les jacassements des pies et le chant des chardonnerets faisaient agréablement écho dans toute la forêt. Elle agissait comme somnifère, car bientôt mes yeux commencèrent à papillonner et je sentis la fatigue me gagner à mon tour.
Ce fut de douces chatouilles dans mes cheveux qui me réveillèrent. Au début, j'avais complètement oublié où j'étais, mais je n'osais pas bouger tant je me sentais calme et en sécurité. Les caresses dans mes cheveux s'arrêtèrent nettes lorsque je bougeai ma main, si bien que je cessai aussitôt. Les gratouilles dans les cheveux étaient mon pêché mignon. J'étais persuadée être encore dans les vapes, car après quelques secondes je me rendis compte que ma tête reposait sur des genoux fermes.
Je voulus me lever prestement en m'appuyant sur mes mains mais la tête me tourna. Alec me rattrapa in-extremis avant que ma tête heurte violemment le sol.
— Tu peux pas faire attention ? s'agaça-t-il en me soutenant toujours.
— Pardon je ... je me suis levée trop vite, c'est tout. Je rejetai sa main, peut-être un peu trop sèchement que je ne l'aurais voulu, et m'écartai à une distance plus raisonnable. Je lui tournai le dos, de peur qu'il voit mes joues rougies par la honte. C'est toi qui me ... touchais les cheveux ?
J'attendais plusieurs secondes, mais n'eus pas de réponses. Je me retournai, curieuse de voir sa réaction. Il se tenait droit, dans une position hiératique en soutenant mon regard. Puis il finit par répondre si doucement que je faillis ne pas l'entendre :
— Tu devais sûrement rêver.
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Coucou tout le monde !
Voici le chapitre 26, plutôt court, mais j'espère que vous attendez la suite avec impatience. J'essayerai de poster le chapitre 27 dans la semaine (vu que la semaine d'après risque d'être chargée, concours blanc oblige :/ )
Pleins de bisous !