L'univers, ce connard

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      J'esquisse un sourire au souvenir de ma réponse. J'aurais bien aimé l'avoir en face, la matriarche, sur le moment.

Des appels me font lorgner dans le rétro. Le coup classique du parigot qui se demande pourquoi une andouille en Deuch asthmatique vit par ici. Qu'il trouve un moyen de doubler dans les épingles, on en reparlera. Je me cale sur un fond de troisième poussif et le laisse mariner.

Une file s'est créée derrière moi depuis belle lurette lorsqu'apparaît le panneau d'entrée du village. Je mets un coup de gaz, noie le SUV dans un nuage qui ferait passer celui de Tchernobyl pour de la barbapapa. La deudeuche remonte docilement la grand'rue.

Je repère une tête inconnue en approche du passage piéton, écrase la pédale de frein – c'est comme pour aller à la Poste, les freins de la 2CV. Faut être au courant des horaires pour pas louper le créneau.

« Travailler sur ses points faibles pour les transformer en forces peut également être une solution tout à fait acceptable » poursuit aimablement l'oratrice après avoir répondu à un auditeur paniqué. 

Mes points faibles. Hm. Là, comme ça, je dirais bien la fameuse nénette qui traverse en m'adressant un geste de la main.

    Pas d'ici, c'est une certitude, mais elle n'arbore pas la panoplie des touristes qu'on voit débarquer en été pour s'enfiler des kilomètres de rando, en hiver pour aller se manger un sapin sur les pistes. Jeans, Converses, une veste en cuir, des cheveux bruns assez longs et une espèce de mèche décolorée sur le devant. Trop extravagant pour le peuple de Notre-Dame, ça.

Elle repart de l'autre côté, en direction de la fromagerie. Je m'attarde un tantinet, j'avoue, sur ce que je devine de son arrière-train. Quinze mois de jachère sexuelle, ça commence à me tendre. Et puis bon, la moyenne d'âge, à Notre-Dame, ça se situe plutôt aux alentours des 63 ans 3/4. 

Nouveaux appels de phares frénétiques, nouveaux coups de klaxon. Tiens donc, je l'avais presque oublié, lui. Avec une petite pensée émue pour son filtre à air, j'accélère pied au plancher sur un rugissement de raton-laveur centenaire. S'il survit à ça, le trouduc du 75, c'est qu'il a les poumons bien accrochés.

Je tourne à la suivante, m'enfonce sur le chemin jusqu'au Mazot du R'nard. Notre tanière, sweet tanière.

« Ce qui compte, c'est de trouver l'équilibre entre situations de confort, celles qui vous rassurent mais vous enferment dans un quotidien monotone, et l'incertitude, l'inconfort volontaire qui permet de grandir, de se découvrir de nouvelles voies. »

L'inconfort volontaire. Je doute que de me mettre face à une assiette de salsifis me permettent d'avérer davantage que ma profonde répulsion pour ces racines du diable. Idem, je déteste voir des autocollants à l'aise Breizh sur une caisse, mais ça ne m'apporterait pas grand-chose en termes d'acceptation de mon sur-moi d'en coller un sur l'arrière de la 2CV.

Je n'ai jamais pu blairer la tête de Nikos ni de PPDA, je conchie toute musique actuelle et je serais capable de vomir si la peau du lait entrait en contact avec ma langue. Peut-être que me faire écouter du Jul avec deux salsifis dans le nez et un grec huileux qui danse la lambada par là-dessus me ferait atteindre la plénitude de l'inconfort et découvrir une vocation d'expert-comptable.

« Contente ? » demandé-je donc à la dame, avant de couper le contact dans l'allée qui borde le chalet.

C'est alors que je la vois, sur le bord du chemin caillouteux. Une pancarte peinte à la main – et pas très bien, d'ailleurs. J'approche, plus heurté dans mon sens de l'esthétique que par curiosité.

Ouverture prochaine du CaFée, ici.

Où ça, ici ? Ça veut tout et rien dire, ici.

Je n'ai pas connaissance d'un vieux qui aurait sauté les piquets récemment, ni d'un déménagement dans le voisinage. Mais il est vrai que l'immobilier a flambé, ces dernières années. Beaucoup de nouveaux commerces pour canaliser les flots qui assaillent le patelin deux fois par an.

Le CaFée. C'est ridicule, en plus, comme nom. Bah, admettons. Ça fera un nouveau repaire pour les mamies du coin.

Et c'est là, vous voyez, devant cette même pancarte, que j'aurais dû me faire la réflexion, après coup, que l'univers est vraiment un gros connard.

Latte Machiavelo [Concours Femme Actuelle x Les Nouveaux Auteurs 2024]Nơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ