Le souffle froid de la Mort

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      👾 RÉMI 👾

J-3 avant l'ouverture du CaFéedération de l'ennui. Ou de l'emmerdement, au choix.

Tu m'étonnes que le transbordement depuis Meaux était compliqué : le rez-de-chaussée ressemble pour de bon à un marché aux puces. Des fauteuils à bascule en rotin, en chintz, recouverts de toile de Jouy, en cuir tout râpé. Des chaises en bois, un canapé en velours et deux bancs massifs, aussi. De quoi faire asseoir une vingtaine de personnes, sans compter les quatre tabourets au comptoir. Mais toujours pas de tables. Enfin, pas assez. Elle en a une immense, style château, pour la convivialité, mais les autres clients du troquet devront se contenter de leurs genoux de prolétaires.

Mlle Sauldubois a donc voulu réquisitionner à nouveau l'Espace pour écumer les brocantes du coin. Cette fois, c'est Oliver qui s'y est collé. Il ne voulait pas, au début, le salopiaud. Mais je lui ai fait croire que les fajitas de Pépé me sont restées sur le bide. Elles étaient vachement bonnes, en vrai. C'est juste dommage qu'il ait mis des flageolets à la place des haricots rouges.

Le vieux étant à la sieste et les deux autres brindezingues en classe verte, je traîne un moment entre le Mont-Charvin et la remise, à organiser encore quelques trucs. C'est toujours inconfortable niveau stream, mais l'adversité, ç'a du bon. Toutes les courbes sont à la hausse.

Comme le soleil a l'air de vouloir rester accroché entre quelques nuages, je chausse mes croquenots, attrape l'une des barres protéinées de Touist et quitte le Mazot dans l'idée de faire la grande boucle. Pas le demi-tour du Mont-Blanc dans l'absolu, mais j'ai toujours trouvé ça plus facile, de réfléchir en marchant.

Je passe devant la 2CV sagement garée sous l'avant-toit, visse mes écouteurs avant de m'immobiliser, un pied encore en l'air. Mon cerveau est tombé en arrêt. Je pivote avec la prudence de qui sent le souffle froid de la Mort dans sa nuque.

Un caneton qui tire la gueule sous un chapeau bleu est collé sur l'arrière de la Deudeuche. Pas un petit caneton. Pas scotché. Un sticker pro d'une cinquantaine de centimètres, imperméable et manifestement résistant. Irrémédiablement collé au cul de ma voiture.

Je m'approche, essaye d'en gratter timidement un coin. La peinture part avec.

« La connaaaasse » braillé-je sans entendre ma voix, assourdie par du Pantera.

En temps normal, je mets presque 2h à boucler cet itinéraire autour de Notre-Dame. Avec une pause sur les hauteurs pour planifier les prochains live et tournages, au milieu des pâquerettes et des clarines. Le seum, ça vous propulse un homme plus sûrement qu'un cocktail d'œufs crus, c'est net.

Je redescends, en nage, à peine une heure après avoir amorcé la montée, courant plus que crapahutant, le cœur fracassant quelque part contre mes tympans. Au rythme de la double-pédale.

C'était soft jusque-là mais, ma vieille, si tu veux la guerre, tu vas l'avoir. Je sais pas encore comment, mais tu vas l'avoir.
     
C'est grisant, dans un sens. De voir qu'elle n'est pas près d'enterrer la hache. Ça me foutait un peu les jetons, pour tout avouer, après le coup du Leroy Merlin. Heureusement, le caneton des enfers me sauve la donne. Je peux la haïr à nouveau, en toute bonne foi.

Un trou entre deux pistes me fait savoir que quelqu'un m'appelle. Brame mon prénom, plutôt. Une voix fluette, cassante, mais qui porte. J'ôte un écouteur, regarde en arrière.

C'est Josette Vuillerens, la dame fossile du majong, devant chez elle.

Latte Machiavelo [Concours Femme Actuelle x Les Nouveaux Auteurs 2024]Where stories live. Discover now