Repiquer les bégonias

49 18 8
                                    

     👾 RÉMI 👾

     Je sirote un cappuccino. Répugnant parce que je n'avais qu'une de ces horreurs instantanées sous le coude, mais pépouze. Renversé dans le canapé – moi, pas ma boisson. Encore qu'on ait frôlé l'accident lorsque l'appel Discord de KronkMonsieur a manqué me faire échapper ma tasse.

     J'inspire, au bout du fart mais à deux doigts du Nirvana cosmique. Pas de CaFée aujourd'hui. Plus de CaFée. Plus de travaux, ni de garderie. Rien que le bonheur simple de trouver le moyen de pourrir Mlle Sauldubois tout en essayant de l'appairer avec Oliver. Je revis.

     Et je bâille. Deux, trois fois d'affilée. Le compteur d'heures de sommeil est officiellement passé en négatif. Le stream s'est étalé. D'habitude, je gère l'horaire, mais pas cette fois. Ou comment se retrouver, à 4h37, à commenter un épisode de Vis ma vie avec 130 clampins qui n'ont rien de mieux à faire. Surtout pas dormir. 

     « ... le planning en conséquence, du coup ? »

     C'est la voix de Lucile. Un silence. La question m'est peut-être adressée. J'attends de voir, bidouillant la ficelle de mon training.

     « Crash ? Tu roupilles ?

     — Non, je repique des bégonias, rétorqué-je en inscrivant un 1 au score de mon sens de la déduction. C'était quoi, cette histoire de planning ?

     — Ben, le truc qui ressemble à s'y méprendre à un calendrier, avec les dates, les jours et les heures, et dans lequel on remplit des cases – tu vois ce que c'est ?

     — Il nous le faudrait, poursuit Shadilay, le nouvel aide de camp de KronkMonsieur.

      — Et plus ou moins une semaine à l'avance, qu'on puisse s'organiser avec Shad, complète Kronk.

     — Vous exigez bien des choses, pour de simples modos. De mon temps, c'était pas comme ça, répliqué-je en naviguant sur notre agenda commun – putain, j'étais sûr de l'avoir mis à jour.

     — C'est pour ton bien, Grand Maître. On peut le demander à Touist, si tu préfères.

     — Et attendre deux minutes le temps que j'arrive à voir quelque chose sur cet écran, c'est possible, sinon ? »

     Les deux se marrent en chœur. Shad vient d'avoir 19 ans. Il peut encore survivre sur une power nap et un paquet de Pringles infusés au RedBull, lui. Pour ce vieux Crash, ça commence à sentir le sapin. J'attrape mon téléphone, veux quitter Instagram et me retrouve par mégarde sur la cam avant, en tête à tête avec mes cernes. Pas ouf. Si je m'étais croisé dans un miroir, j'aurais sûrement eu pitié du pauvre dégénéré à qui appartient ce reflet.

     « Bon, prenez des notes, bande d'insurgés, finis-je par reprendre après avoir récupéré l'onglet manquant sur mon PC. On a dit, pour la semaine pro, que Touist commençait par... »

     Je m'interromps. Mon iPhone a vibré, créant une toute petite onde de choc à la surface de mon café.

La Pompadour :
Rémi

     Oui, bravo Abby, c'est mon prénom. T'auras droit à une gommette. J'aurais dû la bloquer. J'ignore l'importune, reprends la conversation avec Kronk et Shad.

La Pompadour :
Rémi

Rémi

RÉMI 

     « Elle veut quoi, encore, la foldingue ? grincé-je à voix basse, en retournant mon téléphone face contre table. Tu disais, Shad ? »

     Ça vibre toujours. Si je savais ce qu'était un vibromasseur, je dirais que c'est au moins aussi efficace. Je fourre le portable entre deux coussins, essaye de tenir, tel l'équilibriste, le fil de la discussion et celui, plus ténu, des vestiges de ma santé mentale. Vestiges qui volent en éclat lorsque ça tambourine violemment à la porte.

     « Deux secondes, les gars, je me mute. Je reviens. »

     Pépé n'a jamais fait installer d'œilletons sur les portes. Inutile, puisque personne ne peut rentrer dans le Mazot sans posséder la clé du bas. L'emmerdeur est donc déjà à bord du vaisseau – et, vu son identité, j'imagine qu'il s'agit plutôt d'une emmerdeuse.

     Tel le buffle agacé par un piquebœuf trop insistant, je m'apprête à meugler. Elle ne m'en laisse pas l'occasion. La porte est à peine ouverte, le quoi suspendu à mes lèvres, qu'Abby referme ses bras autour de ma taille.

Latte Machiavelo [Concours Femme Actuelle x Les Nouveaux Auteurs 2024]Where stories live. Discover now