L'annonce

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      🧁 Abby 🧁

      Le nouveau robot pâtissier, c'est bon. La vitrine réfrigérée, c'est bon. Un lot de charlottes pour le swag ultime au-dessus des fourneaux, c'est bon. Les coches se suivent sur ma liste sans fin. Un très petit pas pour l'humanité, un bond de sept lieues pour Bibi.

N'ayant pas eu le temps de me laver les cheveux depuis l'invention des madeleines, une mèche grassouille pend devant mon nez. J'essaye de la caler derrière mon oreille, signe le bon avant de raccompagner la brave livreuse à la porte du Mazot. Les cuisines sont dorénavant opérationnelles, à une moustache de chat près. En revanche, pour ce qui est de la salle, les souris ont encore une sacrée piste de danse.

La moitié du mobilier chiné ces derniers mois est toujours aux mains des déménageurs félons, qui doivent passer davantage de temps au téléphone à me rassurer qu'à activement chercher la source du problème. Je me vois mal demander à mes futurs clients de s'asseoir par terre. C'est peut-être un peu trop roots pour la région.
   
Et comme un malheur n'arrive jamais seul, M. Maimboeuf en personne fait apparition, vêtu d'un vieux jeans informe et d'un t-shirt floqué Umbrella Corp. La dégaine.

Il me gratifie d'une espèce de salut militaire raté avant de prendre le chemin du débarras – qui devrait être mon bureau, donc. Je le siffle, lui jette les clés accompagnées d'un regard à base de je te jure que si j'entends le moindre bruit étrange en provenance de ma remise, tu peux tirer un trait sur ta camelote.

Priant pour que le message ait été correctement interprété, je reviens à mon PC et achève un brouillon d'annonce débuté la veille, suite aux bons conseils d'Oliver.

Il n'y a sans doute pas de mal à admettre qu'il va me falloir un peu d'aide. Peut-être même un bon gros coup de main. Voire de plusieurs. Des ados débrouillards mais précautionneux, responsables, autonomes et pas trop boutonneux, ça doit bien exister de nos jours. Et peut-être même que l'un d'entre eux, en plus d'avoir le droit de conduire, possédera un véhicule de type monospace et qu'il acceptera de me trimballer jusqu'au brico le plus proche.

Hormis l'absence flagrante de pâtes dans mon appart, je constate celle plus handicapante d'imprimante dans mon futur CaFée. Peut-être M. Maimboeuf va-t-il enfin avoir l'occasion de se montrer d'une quelconque utilité.

« Désolée de vous déranger en plein remaniement, débuté-je en débarquant sur le spectacle étrange d'un demi-Rémi coincé derrière un écran plat, mais est-ce qu'à tout hasard vous auriez une imprimante que je pourrais vous emprunter, là-dedans ? C'est l'affaire d'une ou deux pages A4. En noir et blanc.

— Ç'aurait été avec grand plaisir, Mlle Sauldubois, répond-il avec un air mièvre. Mais figurez-vous que l'imprimante a souffert des dommages collatéraux d'un déménagement précipité. »

Je suis du regard le bout de son index, aperçois sur une étagère une Canon avec scanner intégré. Très intégré. Enfoncé serait peut-être plus juste.

« Votre grand-père en a peut-être une autre ? »

Silence radio. Quel agréable garçon. Ma foi, c'est parti pour recopier quatre annonces à la main.

Je poursuis le rangement de ma vaisselle ancienne, ravie par toutes ces jolies dorures, lorsque je vois apparaître une main dans mon champ de vision. Une main qui tient l'une des affichettes rédigées plus tôt. Le reste de M. Maimboeuf se dévoile de l'autre côté du comptoir.

« C'est quoi, ça ? demande-t-il en secouant le bout de papier, comme si je n'avais pas saisi le but de sa question.

— Une annonce.

— Je sais lire, Mlle Sauldubois. En-vie de re-join-dre l'a-ven-ture Ca-Fée, anone-t-il. Vous embauchez ?

— Je cherche un ou deux jeunes susceptibles de m'aider. À manutentionner les livres et les meubles qui vont arriver dans un premier temps, à débarrasser le plancher de cette moquette dégoûtante et peut-être repasser un coup d'encaustique et de pein...

— On parle de travail déclaré, bien sûr ? »

Je l'observe, aussi suspicieuse qu'il l'est. Exit le combat de pouces, le combat de suspicion, c'est bien plus intense.

« Je pensais plutôt à quelque chose d'officieux. Un petit job d'automne, quelque chose dans ce goût-là » suis-je bien forcée d'admettre.

Son rictus triomphant parviendrait presque à faire tourner le lait, et la crémière avec. Il repose l'affichette et me considère avec un air de connivence – une œillade digne de la mangouste face au cobra.

« Personnellement, je n'ai rien contre un peu d'illégalité, mais imaginez qu'un pauvre jeune savoyard se fasse ensevelir sous vos caisses de vieux grimoires, Mlle Sauldubois.

— Vous êtes aussi subtil qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine, M. Maimboeuf, répliqué-je en attrapant les affichettes pour les jeter dans une poubelle qui déborde déjà de papier bulle et de cartons.

— Je dis ça dans votre intérêt, Mlle Sauldubois. Je m'en voudrais de gâcher vos recherches.

— Des recherches de quoi ? »

Nous pivotons vers M. Creusot, lequel possède, tout comme son abominable petit-fils, l'habitude d'aller et venir comme bon lui semble dans mon CaFée. Je vais finir par coller des loquets à toutes les portes. Le papy revient de la boulangerie, son éternelle baguette dont le croûton est aux abonnés absents sous le bras.

« De nouvelles recettes, réponds-je aussitôt.

— D'aide pour les travaux dans le CaFée, embraye l'incommode.

— Ah ? Bah pourquoi tu l'aides pas, toi ? questionne Étienne.

— J'allais justement me proposer. Si ça vous va, bien sûr, Abigaël. »

Latte Machiavelo [Concours Femme Actuelle x Les Nouveaux Auteurs 2024]Where stories live. Discover now