Ni oui, Nina

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Ce qui explique, en partie, un nouveau silence qui se prolonge et s'achève sur un très petit :

« Heu... non ? »

Je le vois relâcher ses épaules, souffler, ranger une mèche fuyarde derrière son oreille. Il sourit. Si on m'avait dit que les mecs étaient aussi compliqués, bon sang, j'aurais envisagé l'achat d'un décodeur avant de me risquer à en côtoyer.

« Est-ce que tu es... soulagé ? Que je ne veuille pas ? demandent les mojitos à ma place.

— Oui. Mais pas du tout à cause de ce que tu crois, s'empresse-t-il d'adjoindre, sans doute parce que j'ai l'air misérable.

— Je ne crois rien, me défends-je en cherchant une dernière goutte de rhum qui pourrait m'aider à relativiser. C'est juste que c'est assez inattendu, comme question.

— Je voulais... je préférais en avoir le cœur net. J'ai pas... désolé, Abby, mais j'ai l'impression, ces derniers temps, de ne pas avoir été super honnête avec toi – mais je voulais pas en rajouter parce que je sais que ton employé, qui se trouve être mon coloc, n'est pas des plus faciles à vivre. J'avais... j'avais peur, c'est très égoïste, mais que tu... t'attaches à moi ? finit-il sur une moue, pas bien sûr de la formulation.

— Ah. Oh. Je... ok, Oliver, tu es très... sympa, plus que la somme de tous les gars que j'ai rencontrés jusque-là, mais... non. Non, je ne veux pas coucher avec toi, affirmé-je. Je devrais ? finis-je toutefois par me renseigner, plus intriguée qu'autre chose.

— C'est un peu délicat, j'en... j'en parle rarement mais... voilà, je sais, au fond de moi, que je suis plutôt pas mal, physiquement, et les gens... les gens s'attendent à ce que j'en joue. Enfin, que j'en profite. Que je dois tomber des tas de nanas, avec une gueule et un corps pareil. Ou des mecs, peu importe. Mais, en vrai, c'est pas... c'est... »

Il s'interrompt, cherche ses mots en faisant glisser le bout de son doigt sur le rebord de son verre. J'ai reposé le mien, l'observe alors qu'il esquisse un sourire nerveux.

« Je crois pas que ça m'intéresse, tout ça. Je veux dire, l'amour, une relation, enfin... ce qu'on s'imagine que je dois chercher, et obtenir facilement. C'est pas le cas. J'ai... eu une copine, pendant presque quatre ans. Nina. Elle était en école d'infirmière, à l'époque, et tout... tout le pays s'accordait sur le fait qu'elle était parfaite. Et elle l'était sûrement. On s'entendait bien, alors... on s'est mis ensemble, parce que ça paraissait normal. On sortait, on faisait ce qu'un couple doit faire, je crois. Mais j'ai... à force, je me suis rendu compte que... »

Il rougit, hésite, finit par oser accrocher mon regard.

« Même pour ce qui est du sexe, ça ne m'a jamais... passionné. Mais on se dit qu'un beau gars pareil, c'est du gâchis, s'il n'est pas maqué, s'il ne passe pas son temps à essayer de séduire à gauche, à droite. Mes parents en premier lieu. Y'a que mon oncle, je crois, qui... qui comprend un peu. Nina, elle, n'a pas compris non plus. La quitter, c'était... une des pires choses que j'ai vécues. Que je ne suis pas prêt à revivre. Crécher ici, bosser à l'Intersport la semaine et dehors le weekend, m'éclater sur Crashtwist, ça me va... ça me va très bien. J'ai pas besoin du reste. Pas pour l'instant. Mais ça toujours l'air de décevoir, quand j'essaye d'en parler. Alors, généralement, je ne dis rien. Et... si une fille veut vraiment, je n'ose pas dire non. Je... je voulais pas qu'on en arrive là, je préfère compter sur ton amitié, si tu veux bien, plutôt que sur... autre chose. »

Il semble vouloir poursuivre, laisse toutefois ses mots se perdre. J'aimerais ne pas le prendre en pitié, parce que ce n'est certainement pas ce dont il a besoin ; mais, quelque part, je me sens coupable. Parce que ma réflexion était, à peu de chose près, la même lorsque je l'ai vu pour la première fois. On n'oublie pas un Oliver qui traverse son champ de vision. Mais que chacun s'imagine en profiter d'une manière ou d'une autre, parce qu'il a la chance de ne pas appartenir au standard, ça paraît terriblement injuste.

« J'ai de la chance, alors, si tu me considères comme ton amie, déclaré-je en lui offrant une frite.

— C'est vrai ?

— Oui. Et Rémi aussi, a beaucoup de chance.

— Sauf que... j'ai jamais osé lui en parler. De tout ça. Je crois même pas avoir déjà évoqué Nina avec lui.

— C'est pas grave. Même si je pense qu'il comprendrait. C'est fait pour ça, les potes. Moi, je suis bien contente de partager ça avec toi. En plus d'un kébab un peu tiède.

— Et d'un mojito nul.

— Oui, mais efficace. Moi aussi, il faudrait que je t'avoue un truc. »

J'attrape le coussin cornu et le serre contre moi. Ça ne remplace pas Bourriquet, mais le principe est le même.

« Seulement, ajouté-je en hissant un doigt préventif, tu dis rien à Rémi. Croix de bois, croix de fer, si tu mens, t'avales ta salive de travers et tu meurs dans d'atroces souffrances. Ok ?

— Ça semble assez radical. Vas-y, je suis une tombe. Raider. Putain, c'était d'un naze. T'as raison, il est violent, ce rhum. »

Je glousse, tâche de recouvrer mon sérieux. Il s'installe en tailleur face à moi, prêt à m'écouter livrer mes secrets les plus inavouables. Un en particulier. Parce qu'il parviendra peut-être, avec quelques gigawatts de psychologie comportementale, à éclairer ma lanterne. Je prends une grande inspiration.

« Alors. Ça concerne Rémi, justement. »


Latte Machiavelo [Concours Femme Actuelle x Les Nouveaux Auteurs 2024]Where stories live. Discover now