Les yeux réverbères

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« Mais quoi ? Mais quoi ? Qu'est-ce que c'est que ce... »

Mes yeux tombent sur le message qui apparaît :

La Pompadour :
C'est bon. Tu peux venir maintenant ;)  

Je décolle si vite que je me retrouve dans l'entrée sans avoir lâché la manette. Je la jette dans la coupe à fruits parmi des bananes brunissantes, dévale les marches jusqu'à la trouver appuyée contre l'armoire électrique. La banane en chef. Le régime complet avec le bananier en sus, pour rester poli.

« T'as fait sauter les plombs, grondé-je en regrettant ne pas avoir la rapière de Margarine, histoire de lui tailler un costard.

— Tu me tutoies, maintenant ?

— Oui ou non ?

— Disons que j'ai cru voir un fusible qui ne fusiblait pas comme il faut. Mes excuses si j'ai interrompu quelque chose. Mais vu que t'es dispo, c'est chouette, on peut enfin aller au Leroy Merlin.

— C'était important, ce que je faisais là-haut.

— Sûrement pas tant que de satisfaire ton employeuse. Allez, Rambo, on y go. »

Elle se détourne, toute guillerette, sans même attendre que je puisse répandre mes foudres sur elle. J'aimerais bien taper dans quelque chose mais le lambris est certainement plus décidé que mes phalanges. J'envoie un message sur le groupe que nous partageons, Lucile, Oliver et moi, pour les avertir du problème technique. Que KronkMonsieur annonce que le live est reporté à demain soir pour cause d'ampérage défaillant, une connerie du style.

J'enfile la veste de pêcheur de Pépé, celle en 4XL qui a un hameçon épinglé sur le devant et une truite brodée dans le dos. Quitte à devoir m'exécuter, autant le faire avec le moins de style possible. Elle va regretter sa décision, Abbygogol.  

Elle m'attend dehors, avec sa mèche folle et décolorée qui bat au vent. Elle aussi, elle est tartinée d'enduit. Il faut dire que j'ai passé la matinée à lui en crêper le dos dès qu'elle l'avait tourné. Je vais pour déverrouiller la porte de la Deudeuch, mais elle me chope par le bras.

« Attends, t'es sérieux ? La 2CV ?

— Madame veut prendre la Bentley ? C'est bête, elle est en révision.

— Non mais, on va chercher du placo de 2,5m, 60m2 de parquet et de la peinture. Deux mètres cinquante. Soixante mètres carré.

— Et quoi ? En les cassant en petits morceaux, ça passe. »

Elle a les yeux réverbères, elle a le regard qui pue. Si c'était une AK-47, elle m'aurait réalisé un fabuleux headshot.

« Tu devais demander à Oliver son Espace, poursuit-elle sur un couinement énervé.

— Ah oui, peut-être bien. Ça m'est sorti de l'esprit, comme un fusible de son logement. »

Elle cherche un numéro qu'elle appelle aussitôt, tapant du pied pendant que je m'adosse à l'aile piquée de la Deuch.   

« Oliver ? Oui, c'est Abby, désolée de te déranger, je... oui, non, ça va, ajoute-t-elle en me logeant à nouveau quelques cartouches en plein buffet. Dis-moi, est-ce qu'on pourrait t'emprunter ta voiture pour descendre à Annecy, au brico ? Je... oui, désolée. Je te dédommagerai pour l'essence, bien sûr. Si, j'insiste, je... Où ça, tu dis ? La Giettaz ? ajoute-t-elle en m'interrogeant du regard.

— Sais pas où c'est. Jamais entendu.

— Ok, on arrive. Merci encore, t'es super. »

Et cinq points de plus pour Oliver le Gryffondor. À force d'incarner le connard de service, par comparaison, elle va bien finir par se rendre compte qu'elle doit tomber dans ses bras musclés, la Poufsouffle.

Latte Machiavelo [Concours Femme Actuelle x Les Nouveaux Auteurs 2024]Where stories live. Discover now