Poussin

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« Poussin, viens à table s'il te plaît, mon chou. »

Le Poussin en question traînait à deux doigts de nos quartiers, une espèce de têtard avec des culs de bouteille énormes, la main grassouillette et baladeuse, ainsi qu'une certaine propension à hurler dès que ses parents émettent l'idée de le faire asseoir pour manger son steak frites. Si un jour j'en ai, je pense que j'aimerai mes enfants. Mais ceux des autres, ceux-là, je les abhorre du plus profond de mon âme. Si Poussin s'aventure encore une fois jusqu'à nous, je ne réponds plus de mon croche-patte.

« Je me demandais, l'autre jour, si tu avais des origines anglo-saxonnes ? questionne Abby pour Touist, après avoir essoré sa salade. Parce qu'Oliver, c'est finalement pas très courant, par ici.

— Oh, c'est toute une histoire ça, répond le rouquin. Je suis franco-français depuis huit générations au moins, mais il semblerait que mon père a paniqué au moment d'inscrire mon nom au registre. Il a noté Olivier sans le deuxième i. Ma mère a fait une drôle de tête, apparemment, quand elle a su que son petit Olivier avait viré Outre-Manche. »

Ça rigole autour de la table. Je la connaissais déjà, celle-là, mais faut avouer que le père Jussey, il a quand même une sacrée touche. Heureux d'avoir trouvé un tremplin, Pépé poursuit sur la même lancée :

« Mon grand-père à moi venait de Saint-Étienne et comme c'est lui qui a conduit ma mère chez la sage-femme, il a insisté pour que ça soit Étienne. C'était ça ou Reginald, alors, bon, j'm'estime heureux.

Reginald ? m'étouffé-je dans mon vinaigre.

— Bah ouais, ma m'man trouvait que ça sonnait bien. Elle l'avait lu dans un livre, je crois. Toi, Coco, t'étais parti pour être une Juliette jusqu'au jour de l'accouchement.

— On a failli avoir un Roméo, me nargue le pseudo Irlandais.

— Nan, c'était Maxime, je crois, au tout début.

— Super, j'aurais pu être Amixem dans une autre vie, rétorqué-je en abandonnant ma bataille navale croûton VS deux pauvres tomates cerises.

— Moi je crois que mes parents hésitaient entre Lou et Victoire, reprend Abby, songeuse. Ma mère a dit Abigaël sur un coup de tête, et ils se sont copieusement engueulés, ensuite, sur l'orthographe.

— Je m'excuse si c'est indiscret, mais vos parents... vous en parlez pas souvent, poursuit Pépé.

— Ça ne me dérange pas d'en parler, seulement je n'ai plus trop de contact avec eux, avoue-t-elle sur un sourire détaché, avant de finir son verre de blanc. Quelques... différents familiaux. »

Un léger silence se prolonge au milieu des meuglements de POPOOOL en provenance des cuisines et des cris de babouin de Poussin.

« Désolée, j'ai plombé l'ambiance, marmonne Abby en nous observant tour à tour.

— Nan, t'inquiète, lâché-je en me préparant à utiliser mon dernier mouchoir. Avec ma mère non plus, je m'entends pas des masses. Avec M. Creusot non plus, soit dit en passant.

— Oh, t'es chié. Voulez savoir ses deux autres prénoms, à cet asticot-là ? »

Oliver et Abby acquiescent conjointement, trop intéressés pour être honnêtes. Je me renverse contre mon dossier, prêt à affronter la douille.

« Gontran, parce que c'est le nom de son aut' grand-père, y semblerait, et Hercule.

Hercule ? »

Honnêtement, je pense que la secrétaire de l'Etat civil, ce jour-là, avait fumé du mauvais shit pour accepter un truc pareil.

« Hercule pour le héros qui bastonne Hadès et se tape Mégara ? suppose Abby.

— Nan, Poirot. M'enfin, ça, chacun a sa version des faits.

— Hercule, putain, siffle Oliver.

— Oui bah tu vas t'en remettre, Olivier, cinglé-je.

— Et moâ c'est que, en fait, que je m'appelle TI-MEEEH-OOOH ! »

Je baisse les yeux sur le gnome accroché à ma veste.

« Poussin, bébé, lâche le monsieur, intervient sa mère sans évidemment décoller pour récupérer son mioche.

— TI-MEEEEH-OOOOH que je m'appelle, moâ !

— On avait compris, répliqué-je en songeant lui coller un de mes mouchoirs dans son clapet tout poisseux.

— Pasque j'avais des frites, moâ ! T'avais des frites aussi, toâ ?

— Poussin, s'il te plaît, viens ici.

— A veux du PAIN. Donne du PAIN, m'ordonne le nain.

— Va picorer ailleurs, Poussin, y'a maman-poule qui t'appelle.

— Du PAIN, braille-t-il encore, en se mettant à chouiner.

— Poussin, mon cœur, écoute-moi, s'il te plaît. On est au restaurant, il ne faut pas faire de br...

— DUUUUU PAAAAAIN TI-ME-OH. »

Abby attrape alors une rondelle de baguette, la lui fourre dans le poing, le chope par la capuche et le propulse avec fermeté en direction de ses vieux, pas bien inquiétés.

« A VEUX DU PAAAIIN MOÂ.

— Mais tu en as, chéri Poussin, la gentille dame t'en a donné. Tu veux bien t'asseoir, maintenant ?

— Oyé, çui-là, soupire Pépé, quand le berceau a pris feu, ils ont dû éteindre à coups de pelle. »

Latte Machiavelo [Concours Femme Actuelle x Les Nouveaux Auteurs 2024]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant