Un shot de potion magix

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🧁 ABBY 🧁

« Il va venir, tu crois ? »

Je fais allusion à M. Maimboeuf. Partiellement couvert de terre et d'autres trucs, parce qu'il a achevé le parcours sur un vingt mètres dos crawlé à la suite de son chien. Oliver acquiesce, engageant l'énorme Dodge sur le chemin cahoteux qui mène au chalet de son oncle.

« On ne refuse jamais une bière gratuite. Ça vaut plus que tout l'honneur d'un homme. »

Il avait l'air sacrément chafouin, l'homme, quand même. Peut-être également parce que je l'ai savonné suite à un passage un peu technique, durant lequel mon train d'atterrissage a malencontreusement rencontré ses mains. Je basculais en arrière, il a eu peur que mon séant ne l'écrase. Réflexe primal, je comprends. Enfin, j'ai compris après coup.

« Est-ce qu'il y a encore des bébés ? demandé-je en voyant apparaître, par-delà la demeure cossue, toute en rondins, le chenil et ses enclos.

— On a eu deux portées, cette année. La dernière date de fin juin, ils en sont encore au stade peluche. »

Je réprime un couinement ravi. On a beau faire la dure, parfois, des petits huskys, ça reste des petits huskys.

« Ça t'a plu, du coup ? interroge Oliver après nous avoir parqués à proximité des grillages.

— Je te redirai demain, quand mon corps aura digéré l'information. Non, blague à part, c'était super. Merci d'avoir tout organisé. C'était... je ne m'y attendais pas trop, en vrai. On se connait pas depuis bien longtemps, ajouté-je enfin.

— Mais tu as déjà séduit tout le Mazot, c'est normal.

— Tout le Mazot ? Non, un gaulois teigneux résiste encore et toujours à l'envahisseuse.

— T'inquiètes, il va finir par s'adoucir, le petibonum. »

Petit bonhomme qui arrive dans son char à gasoil peu après qu'Oliver et moi ayons ramené les gentils toutous dans leurs pénates et décapsulé une bouteille de blanche du Mont-Blanc. Le tonton, roux lui aussi, apparaît à l'horizon sur un quad – tiré par dix chiens, langue pendante mais œil vif.

« Tu vois, suffisait de commencer l'apéro pour les faire venir. On reste dehors, t'as pas trop froid ? Je vais aller te chercher une veste, bouge pas. »

La production de mecs du type d'Oliver doit demander beaucoup de ressources ; c'est sans doute pour ça qu'on n'en croise pas à tous les coins de rue. Je m'assieds sur un banc, lève les yeux sur Rémi qui me rejoint. Qui s'installe à l'exacte opposée, comme pour équilibrer une structure du reste parfaitement stable. Un silence s'installe. Pas du genre qu'on a envie d'occuper. Juste très silencieux, à peine ponctué par un jappement intermittent, une brassée de feuilles qui tourbillonnent devant le chalet.

« Le courant est bien passé, avec Foulcamp, finis-je malgré tout par observer.

— Ouais. Dommage que c'était de l'alternatif. T'as des moustaches de café, au fait.

— Hein ? »

C'est sûrement n'importe quoi. Quelqu'un me l'aurait dit. Je tourne la tête pour me débarbouiller avec ma propre bave, de manière préventive.

Oliver reparait alors, six chiots dégingandés lui tournoyant entre les jambes. Je passe aussitôt en mode groupie, obnubilée par les boules de poils dont les oreilles ne sont pas encore toutes dressées. Si j'avais des moustaches, elles me sont impeccablement léchées – en même temps que le reste de ma personne. Elle en a tellement chié, Bibi, sous son imper, qu'elle est devenue un véritable pain de sel.

L'oncle d'Oliver immobilise son étrange équipage non loin, descend pour nous saluer. À peine plus chétif que son neveu, il n'en a pas moins la poigne d'un Hulk moins vert que rouge.

« Ça roule, les jeunes ? On n'a pas ses délicats petons en sang ? »

Rémi produit une sorte de moue destinée à mettre en avant la griffure qu'il arbore sur la joue ; Foulcamp avait décidé de faire du hors-piste.

« Vaudrait mieux choisir des chiens qui ont la lumière à tous les étages, si je puis me permettre, grince M. Maimboeuf.

— T'avais lequel ?

— Foulcamp.

— Ah, ouais. Il a été fini au pipi, celui-là. »

Oliver se marre en silence. J'ai bien envie de rire aussi mais, par égard pour mon CaFée et l'idée que pourrait avoir Rémi d'y bouter le feu, je me contente de sourire.

La bière s'accompagne d'une cousine brune, des grelots restants et d'un mini-concombre que je grignote parmi cette étrange assemblée. Ça parle samoyèdes, montagne et ski, avant que le sujet ne dévie vers ma propre personne. Le tonton, Didier, semble très intéressé par le concept du CaFée.

« Je pourrais vous prendre des flyers, proposé-je après avoir subi un interrogatoire en règle.

— Pis moi, il me faudrait de vos cartes. Donnant-donnant, comme on dit. On s'échangera ça par Oliver interposé. C'est bien, de voir des jeunes motivés qui se bougent pour que ça... ben, bouge, ajoute-t-il en adressant un clin d'œil à Rémi.

— Mais je travaille aussi, se rengorge ce dernier. Chez elle, à plus ou moins mi-temps.

— Ouais, l'Étienne m'a dit ça. Toujours vaillant, hein, ce bougre-là ?

— Il nous enterrera tous.

— Non, répliqué-je doctement, en achevant un nouveau grelot. Josette. C'est elle, qui nous enterrera tous. »

Une sorte de frisson collégial secoue l'assemblée, comme si l'aile noire d'un ange un peu fripé et surtout très persévérant venait de leur caresser le haut du crâne.

« Bon, fondue ? suggère Didier pour chasser l'esprit vengeur. Les mecs, je sais que c'est ok, mais pour vous, ça joue, Abigaël ?

— Oui, parfait, mais je ne voudrais pas vous...

— Déranger ? Allons bon. On fera pas long, vous vous levez à quelle heure pour préparer vos gâteaux, là ? »

Et c'est reparti pour un tour.


Latte Machiavelo [Concours Femme Actuelle x Les Nouveaux Auteurs 2024]Where stories live. Discover now