Le Glaude

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      Bon, ça se vérifie.

Le garage de Flumet ressemble à une espèce de tanière exiguë, sombre et humide, dans laquelle tu t'attendrais presque à voir un black métalleux suspendu tête en bas, qui te feule des trucs en latin avec une croix renversée. Parfait donc pour y laisser moisir une partie de mes fringues et quelques trucs dont je n'ai pas l'utilité chez Oliver.

Comme une deuxième batterie de casseroles. Les siennes ont un revêtement céramique de qualité premium. Monsieur est connaisseur, en plus d'être fin gastronome. Les miennes sont plutôt des Tefal centenaires, qui sont autant antiadhésives qu'un velcro.

Bref. J'ai signé le bail. Ne reste plus qu'à charger la 2CV avec l'équivalent de son poids.

Les voisins doivent se demander ce qu'on branle au Mazot, sérieux. Entre la parigote qui s'est fait livrer l'équivalent d'un semi-remorque de merdier, Pépé qui, tout jouasse, s'est lancé dans le projet de retaper l'allée et moi qui crapahute sans fin d'un étage à l'autre – c'est pas ce qui manque, l'animation. Y'a de quoi alimenter 107 ans de ragots.

Les fenêtres du rez étant ouvertes, je glisse un œil à l'intérieur pour voir si ma Némésis rôde dans le coin. Elle doit être en cuisine, à décaper le piano qui jusque-là, servait de home à des araignées aussi poussiéreuses que le dessous des meubles.

Sûrement qu'elle n'a pas fermé à clé la remise. Sûrement que je peux m'y infiltrer en fufu et récupérer le set de Joy-Con de rechange. Sûrement qu'elle n'y verra que du feu.

« Tiens, M. Maimboeuf, bonjour. »

Eh merde.

« Bonjour, Mlle Sauldubois, la salué-je avec un sourire que j'espère servile, alors qu'elle s'appuie contre le chambranle, torchon en main. Est-ce que, à tout hasard, je pourrais accéder à mes affaires ?

— Mais bien sûr, M. Maimboeuf. »

La proportion de nos noms respectifs dans les rares conversations qu'on parvient tout juste à entretenir est déroutante. Y'a limite plus de Maimboeuf et de Sauldubois que de vrais mots. L'idéal étant, évidemment, de le prononcer avec le plus de mépris possible.

« Dites, juste pour savoir : ça sera bientôt débarrassé ? me glisse-t-elle après avoir déverrouillé.

— Je fais au mieux, Mlle Sauldubois. J'ai trouvé un garage à louer, si ça peut vous permettre de dormir sur vos deux oreilles pendant que les miennes sifflent.

— Tant mieux, tant mieux, approuve cette truffe, aussi radieuse que suffisante. À ce propos, j'emménage ce soir au Mazot, c'est officiel.

— Tant mieux, tant mieux, la singé-je en plongeant dans les caisses pour éviter de lui cracher mon venin au visage, comme le dilophosaure dans Jurassic Park.

— Et vous, M. Maimboeuf, vous nous quittez bientôt ? »

T'attends que ça, hein, bichette ?   

« En fait non, ne puis-je m'empêcher de répondre avec la voix de Nounours. M. Jussey me fait l'aumône, figurez-vous. Oliver, le locataire du Mont-Charvin.

— Ah. »

Si déçue, bouhou. Peut-être qu'elle aurait préféré habiter chez le rouquin. Il a un certain succès auprès de la gent féminine, le sagouin. Et il n'en joue même pas.

J'ai trouvé ce que je cherchais depuis bien deux minutes, mais je temporise. Toujours temporiser. Comme dans les combats FromSoft. Elle attend dans mon dos ; je sens ses espèces d'yeux gris qui analysent chacun de mes mouvements, essayent de déterminer un pattern pour mieux m'abattre. M'en fous, j'ai max ma défense.

« Vous faites quoi comme métier, exactement, M. Maimboeuf ?

— Éleveurs de cartons. Ça se reproduit vachement vite, surtout depuis que vous êtes arrivée.

— C'est encore en chantier, mais ça va prendre allure. Si je pouvais, par exemple, récupérer la totalité de ma remise, je...

— La voilà, la coquine. »

J'extirpe d'un rouleau de papier bulle une figurine collector de Claudia, de Requiem Chevalier Vampire.

« Elle ne doit pas avoir bien chaud. Sacrée tenue, ponctue la naine avec une moue.

— Ah, ça. Ça ne va pas à tout le monde. »

J'entends presque fuser le connard. C'est à se demander si je n'ai pas développé des facultés télépathiques, à force.

Dans le but louable de, je cite, maximiser les chances de cohabitation en bonne intelligence, Oliver a établi un plan des tâches ménagères et de ravitaillement. Quelle n'est pas sa surprise, en rentrant le soir, de me trouver aux fourneaux.

Et de suffoquer parce que, j'avoue, l'odeur pique un peu.

« Mais t'es taré, c'est quoi cette infection ? piaule-t-il en se précipitant pour aérer.

— Hors de question, l'en empêché-je d'un coup de spatule. On reste dans nos miasmes.

— Mais ça daube, putain !

— C'est calculé. »

Je dévoile sous ses yeux écœurés la poêlée de choux romanesco et choux de Bruxelles cramés par mes soins, revenus puis repartis, et enfin bouillis. Dire que ça renaude, c'est un doux euphémisme.

« Je te jure qu'on va pas manger ça, s'inquiète le rouquin.

— Ah mais c'est pas pour manger, qu'il est con. J'ai prévu pizza, les Sodebo au fromage de chèvre, avec supplément lardons. Nan, c'est juste pour l'ambiance olfactive, ce truc. Parce que ta hotte, là, elle est branchée ne-me-demande-pas-comment sur la colonne de la VMC de mon appart. Et Miss Monde s'installe ce soir. Quand tu te faisais un poulet tikka, j'avais l'impression de m'être enfilé un rail de curry là-haut. Alors imagine avec ça. Elle va kiffer.

— T'es sérieux, le Glaude ?

— Ils étaient en promo parce qu'ils étaient moches, ces choux. Ça valait le coup, nan ?

— Si ça te fait plaisir, soupire-t-il, las. Bon bah, je crois que j'ai une bougie au Monoï quelque part.

— Oh, dément. Ça va être ignoble, avec la potée. »

Latte Machiavelo [Concours Femme Actuelle x Les Nouveaux Auteurs 2024]Where stories live. Discover now