What makes you beautiful

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🧁 ABBY 🧁

L'enceinte Bluetooth en équilibre sur le rebord de la micro-pharmacie de ma salle de bain, je lance une playlist au hasard. L'occasion de débuter un strip-tease à l'attention de mes flacons de shampoing, d'un coupe-ongle et d'une pierre ponce. Séance d'effeuillage que j'achève sur un déhanché que Beyoncé m'envie, un doublet gagnant au lancer de socquettes dans le panier qui vomit déjà un tas de fripes usées. Il va falloir prévoir un aller chez Josette pour laver tout ça. Quand j'aurai le temps.

C'est-à-dire pas avant ma retraite.

J'attrape un pot de masque capillaire, en applique une généreuse couche des pointes aux racines, comme le recommandent les influenceuses beauté. Tête en bas, quitte à me fracasser la nuque contre la faïence quand je me redresse sur un dandinement. Ça fleure bon le patchouli. Ou l'ylang-ylang ? Un genre d'orchidée des îles, vraisemblablement. Qui nécessite de poser vingt minutes pour maximiser les effets des principes actifs et renforcer la brillance des écailles.

Un tiers d'heure que je pourrais mettre à profit pour vérifier ma compta, me préparer une soupe détox, trier mon étagère à livres qui ressemble à un bac à soldes. J'en profite plutôt pour monter la musique d'un cran, poursuivant une choré ridicule et sans culotte.

Cette semaine a été épuisante. Une épreuve qui mérite bien de passer du stade de businesswoman impeccable à ado retardée sans s'intéresser aux paliers de décompression entre ces extrêmes. Danser à poil sur du One Direction avec un demi-litre de guano parfumé sur le crâne : un dimanche soir tout à fait idéal.

Mes souvenirs confus de zumba m'ayant emportée jusqu'au salon, je devine sur l'accoudoir de mon beau fauteuil moutarde une tache bleue : le tablier de Rémi. Je l'attrape d'une main, mon PC de l'autre. Vingt minutes, ça devrait être suffisant pour résoudre cette énigme qui n'en est pas une.

Il l'a customisé. Soi-disant pour mieux coller à l'ambiance café littéraire. Avec deux lignes de tengwar, l'alphabet Elfique développé par Sir Tolkien. Nonobstant la beauté de l'effort, je reste persuadée qu'il n'est point question de Noir Parler ni de Sindarin ici. Cet abruti a dû prendre une typo Elfique random sur internet, qu'il a recopiée au blanco sur mon tablier. Plus qu'à décrypter le message – si tant est qu'il y en ait un.

Un m pour commencer, un a ensuite, ma. Un b, o, deux s. Boss. J'en étais sûre.

Ma boss est une vilaine courge.

Stupide Hobbit joufflu.

Ça semble faire écho à ma note explicative sur le fonctionnement de mon nouveau serveur dans les toilettes des filles. Je ne m'appesantirai pas sur la gratuité de la pique ; si on m'avait dit que M. Maimboeuf s'avérerait être un bon serveur, j'aurais recraché les bulles de mon Fanta par le nez. Mais il faut bien avouer que... oui, il tient la route.

Des bourdes, il en fait. Comme moi. Mais la clientèle s'est montrée jusque-là très compréhensible – peut-être, toute proportion gardée, parce que Josette nous sert de videur. Les cafés se succèdent, les pâtisseries connaissent leur petit succès et certains retraités ont déjà pris le pli de bouquiner quelques pages avant de repartir clopin-clopant chez eux. Selon le bilan de la semaine, on est dans l'ultra-positif. Plus vert que vert. Tout va bien, donc.

Même si je suis manifestement de l'espèce cucurbitacée. Et disgracieuse.

J'abandonne PC et tablier, sirote le fond de ma canette avant de me planter devant mon miroir – enfin, celui de Papy Jules. Tout en stuc patiné, teint piqué avec un ange qui penche la tête, décontenancé par la gredine qui se tortille seins nus devant lui.

« Une vilaine courge, c'est ça ? apostrophé-je le chérubin. T'en retrouveras, des citrouilles aussi badass et bien foutues, trou du cul. »

La musique décide alors d'opérer un virage régressif, direction mes années Disney. Qui n'ont jamais vraiment passé, d'ailleurs. La Reine des Neiges.

Considérant que la mixture a totalement raidi mes mèches, je dois être à point. J'augmente encore le volume, grimpe dans la baignoire et entreprends de rincer cette coque saveur exotique. Ma voix couvre celle d'Elsa – je connais les paroles par cœur. Le plop d'un message entrant coupe un instant le refrain ; je me penche par-devant le rideau de douche, observe la notification.

JB :

Elle va la boucler, la Castafiore ?

De toute évidence, Joffrey Baratheon demeure insensible au charme de mes vocalises. Je reprends la ligne suivante à tue-tête, de toute la force de mes petits poumons. Deezer apprécie davantage ma voix que mon voisin du dessous : à peine ai-je été libérée, délivrée, qu'il me propose illico Je voudrais Déjà Être Roi.

RIP M. Maimboeuf, vous vous êtes malgré tout révélé d'une certaine utilité.

Infusion au sirop d'érable, bougie à la cannelle et plaid en fausse moumoute, je goûte au repos de la brave sur mon canapé. Netflix tourne en fond, histoire de faire semblant de suivre l'intrigue d'une énième série tout en bouquinant un recueil de recettes outre-Atlantique. Sans tomber dans l'excès, il faut avouer que ce cheesecake façon Snickers possède quelque chose de presque libidineux.

Un message attire mon attention. Toujours en provenance de l'étage inférieur, mais pas du même individu.

Oliver :

Salut ! Dis, désolé de te demander ça comme ça, mais tu fais quoi, demain ? 🙂

Qu'est-ce que quoi ? Une invitation ? Je pondère l'information à la lumière de ces derniers échanges parfois un peu gênants que nous avons eus, Oliver et moi. Pas vraiment gênants, quand j'y repense. Juste... étranges. Comme si le décodeur n'était pas réglé sur le bon canal.

Vous :

À priori, je dors une bonne partie de la journée 🙃 Pourquoi ?

Oliver :

Tu serais libre à partir de 11h ?

Acceptable, comme grasse matinée, pour moi qui me suis levée toute la semaine entre 5h et 6h. Mais ça ne révèle toujours rien du fond de la question.

Vous :

Sûrement

Oliver : 

Nickel ! Alors rdv devant le Mazot à 11h ;) Prévois des vêtements de rando (mais tranquille)

Tranquille. Venant de la part d'un mec capable de rallier Chambéry à l'Aiguille du Midi à pied et en ligne droite, permettez-moi d'en douter. Cela dit, je n'ai rien contre une surprise de temps à autres. Et Oliver est du genre à transpirer la confiance par tous les pores. Un doute persiste, cependant.

Vous : 

Rémi sera de la partie ?

Oliver : 

Pas s'il continue comme ça

Je hausse un sourcil, perplexe. Jusqu'à ce qu'une photo dont le cadrage douteux indique une prise discrète apparaisse dans la conversation.

Rémi y est capturé avachi sur le canapé, manette dans une main, l'autre occupée à enfourner ce qu'il reste d'un muffin. D'un de mes muffins. De ceux que j'ai offerts à Oliver hier, pour éviter qu'ils ne se perdent pendant le weekend.

Ceux que M. Maimboeuf traite en temps normal d'immondes étouffe-chrétiens, qu'il ne toucherait pas même avec un bâton.

Quelle espèce de petit enfoiré.



Latte Machiavelo [Concours Femme Actuelle x Les Nouveaux Auteurs 2024]Where stories live. Discover now