Sacré Horace

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🫘 PÉPÉ 🫘

Je profite de la page de réclame pour aller me faire un café. Pas un vrai, parce qu'il est bientôt l'heure de rentrer les poules, comme on dit, mais un de ces machins décaféinés. C'est pas bien bon, mais c'est toujours meilleur qu'un pisse-pépé. Et comme c'est le soir, j'y rajoute un peu de lait.

Ça reprend tout juste quand je me vautre dans mon fauteuil, triture un bidule électronique pour que mes pieds remontent. J'ai toujours trouvé ça gadget, mais faut avouer que c'est pas si mal, d'avoir l'impression d'être couché sans celle de traîner au plumard. Il masse pas, par contre. Ça, j'aurais bien aimé. Mais y'a un support lombaire, que le vendeur a dit. Et il est en cuir. C'est chic, le cuir. Sauf en été, quand la peau adhère un peu trop à la croûte de vache. Enfin, on y est pas encore.

Je sirote, casse un carré de chocolat noir. On s'met bien, comme causent les jeunes. Je crois bien que la p'tite est à l'étage, d'après ce que j'ai entendu dans l'escalier. C'est pratique, de pas avoir une isolation phonique trop performante. Ça permet de surveiller les allées et venues sans mirador. Ce qui est embêtant, c'est que l'autre p'tit, lui, il s'est barré. Ils passent leurs journées ensemble, ceci dit. Et il me semble que ça commence à se crocher les atomes, au CaFée. Disons qu'ils marmonnent plus qu'ils ne meuglent, ces derniers jours.

La chouille avec le maire était propre, ça, on peut pas dire. Cet empaffé est toujours aussi ragoûtant qu'un jonc vérolé, pis sûrement aussi utile à la communauté, mais les jeunes se sont bien débrouillés. On en a discuté, avec la Josette. Je sais pas vraiment ce que ça cache, mais elle était d'accord. Elle a même pas essayé de me tauper au majong, c'est dire. Ou alors je m'en suis pas aperçu.

« Et vous, Horace, qu'est-ce que vous recherchez, dans l'amour ? »

Je fais le point sur la télé. C'est l'animatrice qui soumet à la Question ces pauvres paysans en quête d'un mariage, d'un coup d'un soir ou de main à la ferme – c'est pas clair. J'ai allumé la box et c'est tombé là-dessus, pis comme la zapette est sur le meuble, j'ai pas changé. Faudrait pas se coucher plus bête qu'on ne s'est levé. Donc je regarde. J'observe. Je documente.

Horace, il est aussi rouge qu'un ballon de Beaujolais, presque de la même circonférence, avec autant de cheveux sur le crâne que j'ai de zéros sur mon compte. Pas gagné, avec un prénom pareil. Et y zozote. Mais il élève des Montbéliardes, et sa stabulation a l'air bien tenue.

« Beh je sais pas trop, moi, s'emmêle le bougre. C'est que j'aimerais bien une fille, comme qui dirait, qu'est pas trop ben coquette, enfin qui l'est un peu, mais que ça dérange pas que d'vivre à la ferme. »

L'avantage, c'est que ses promises ont déjà le profil. D'une jument pour l'une – jamais vu une mâchoire pareille, d'une pintade pour l'autre, à la manière dont elle glougloute. Valérie et Marina. Ben mon vieux, j'aimerais pas être à sa place.

Ça zingue sur mon accoudoir. Le nom d'Oliver apparaît au-dessus d'un message.

Oliver Jussey :
Les sanglots longs des violons de l'automne blessent mon cœur d'une langueur monotone

V'là autre chose. C'est le retour de Jean Moulin ? Je teste l'équilibre de la tasse de l'autre côté, saisis lettre après lettre ma réponse.

Vous :
Oui mais encore

Oliver Jussey :
Le fil vert sur le bouton vert ? Le rouge sur le bouton rouge ?

Vous :
La 7e cie ça je connais

Oliver Jussey :
Ok je me souviens plus du code
ILS SE SONT EMBRASSÉS

Je consulte ce vieil Horace du regard, réfléchis, commence à répondre « bah oui, c'est le principe de l'émission » avant de m'apercevoir que la yoyoterie me guette.

Il parle pas des péquenots, andouille de Creusot.

Je me redresse d'un bond mesuré – faudrait pas risquer le claquage – et vois au ralenti mon meug culbuter par-dessus le bord, le café éclabousser mon tapis persan de père en fils. Bon, on verra ça plus tard, l'eau peut bien couler sous les ponts et le déca entre les lattes.

Vous :
Comment tu sais Tu les as vus ?

Oliver Jussey :
J'ai mes sources !
Je pars en stream là, mais je peux passer vite fait demain matin

Vous :
OK 👍👍👍🖕

Et encore un machin qui s'ajoute sans que je le veuille, ça commence à bien faire. Bon, il aura compris le message.

Et moi, j'ai plus qu'à excaver ma serpillère en me disant que, hé, j'avais raison. Mais comme je peux pas trop m'en vanter à ma Renée, je me rabats sur l'option qui me vaudra une bonne bouteille. La Josette est en ligne. Sans doute qu'elle regarde si Horace va réussir, oui ou non, à grimper d'ssus la jument ou farcir sa dinde.

Vous :
Salut tu pourras amener le champ' mardi qui vient

Elle répond aussi vite que je cogite sur la suite, en ôtant une de mes savates de l'inondation brunâtre.

Josette Vuillerens :
Ton anniversaire c'est le 11 août, n'essaye pas de m'avoir...... !!!

Vous :
Non..... mais j'ai gagné mon pari 👦🏻♥️👧🏻

C'était long à trouver, le gamin, le cœur et la gamine, mais ça va sûrement faire son petit effet. Tellement d'effet qu'elle m'appelle, vindieu.

« Allô ? lancé-je en décrochant, parti fourrager dans la cuisine.

— Qu'est-ce que tu me chantes là, Étienne ? piaille-t-elle à l'autre bout du fil.

— Je chante que le pioupiou a peut-être bien trouvé sa damoiselle oiseau. Ça va convoler, tout ça, j'te le dis.

— Comment que tu le sais, déjà ? Ils t'ont parlé ?

— J'ai mes sources, cité-je le grand en pensant que peut-être l'euphorie d'Horace m'a contaminé, et que peut-être ça demandait une double-vérification. Mais attends, c'est pas du tout cui-cui, encore. Ils y vont progressivement.

— Ils y allaient tellement progressivement que ç'avait pas ben l'air d'avancer. Y s'est passé quelque chose, depuis hier ?

— J'crois pas. Je les ai pas vus, mais je connais mon informateur.

— Alors t'as rien gagné du tout, mon saligaud ! Et je persiste à dire que ça m'étonnerait que ma p'tite Abby en pince pour ton Rémi. C'est une fille qu'a la tête sur les épaules.

— Mon Rémi l'a aussi, bien vissée sur les épaules, la tête. Je l'saurais, si elle était pas à sa place, sa tête. Y'a un truc entre eux, c'est sûr. Et moi, j'pense qu'ils vont bien ensemble.

— T'as de l'optimisme en titi, c'est ça, qu'est sûr. Mais va pas trop te mêler de cette histoire, M. Creusot. Si y doit se passer quelque chose, ça se passera. Sinon, c'est que le bon dieu y voit pas d'intérêt. »

Mais le bon dieu, c'est pas Cupidon, et moi j'aime bien jouer les apprentis sorciers. Ils sont miscibles, ces deux élixirs-là. Et le CaFée joue déjà le rôle de marmite ; ça bulle, ça frémit, ça macère là-dedans. Forcément qu'on va en tirer un grand cru.

« Garde quand même le mousseux au frais, d'accord ? D'ici la fin de l'année. Garanti.

— C'est ça. On le boira pour le réveillon plutôt. Et attention les magouilles, hein ?

— Ouais, ouais, tu me connais. Bonne nuit, Josette. »

C'est bien plus tard, dans mon lit et bercé par le doux ronron de la 2CV qui s'en revient, que je me dis que le rouquin et moi, on aura bien mérité nos auréoles.

Latte Machiavelo [Concours Femme Actuelle x Les Nouveaux Auteurs 2024]Where stories live. Discover now