CXXIV. Les Spaghettis Se Rebellent

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Après avoir quitté le cours de Mme Desmond de manière si pressée, il était impensable de simplement y retourner, comme si de rien n'était. Aussi, nous descendîmes à l'infirmerie. Crédibilité oblige. Et donc Nikolas dût me refaire saigner du nez.

Ce n'était pas une infirmière mais un infirmier qui nous accueillit, un sourire franc aux lèvres. Remuant ses cheveux blancs malgré son jeune âge, il s'exclama :

C'est Madame Streng qui vous envoie, c'est ça ? Il rit en prononçant le nom. Ou bien vous vous êtes battus ?

Il nous fit signe d'entrer.

Non non, je saigne du nez par... stress, inventai-je. La professeure m'a punie au tableau, je devais recopier cinquante fois les noms de enfants de Wolf.

L'infirmier me tendit un mouchoir.

Nikolas se tenait, silencieux, derrière moi, observant la longue pièce. Nous étions dans une petite entrée, avec d'un côté un bureau, une armoire et un lit d'auscultation ; et de l'autre côté une dizaine de lits séparés par des rideaux blancs. On devinait dans chaque petite alcôve une lampe plafonnière qui répandait une lumière froide.

Vos noms s'il vous plaît ? demanda le jeune homme en sortant un stylo de la poche de sa blouse et se penchant sur un large carnet ouvert sur la table.

Kafée Falsi et Chokola Stulte, répondis-je en souriant.

Oh mais je crois bien que c'est la première fois que vous venez ici, n'est-ce pas ? Il se redressa. Je me présente, Odd Nil, appelez-moi Odd.

D'a...

Et dis, elle peut s'coucher s'r un lit en attendant qu'ça s'calme son nez, Odd ? interrompit soudain Nikolas, alias Chokola.

Odd pouffa en entendant son ton insolent. Loin de s'en vexer, il hocha simplement la tête en me désignant du doigt un lit plus loin.

Je m'y allongeais tandis que Nikolas négociait avec l'infirmier pour rester avec moi.

***

Pendant une bonne heure, je me détruisis les yeux à fixer au-dessus de moi la lampe éclatante du plafond. Les petites lumières dansant devant mes yeux me faisaient oublier l'état un peu bizarre dans lequel j'étais.

J'étais partagée entre la joie de la certitude de ne pas être la force malfaisante dont parlait la Tuar, et la peur de cette destinée que me prédisait cette même Tuar.

Quand j'entendis enfin la sonnerie stridente annonçant la fin des cours, je bondis littéralement du lit.

Nikolas, qui avait finalement réussi à embobiner l'aimable Odd et donc en avait profité pour faire un petit somme, me retint par le bras alors que j'allais franchir la porte.

Ton nez.

Mon nez. Je devais ressembler à un clown.

Je courus à l'évier pour y remédier et en profitais pour me remettre du rouge à lèvres.

Nikolas m'attendait.

Bon appétit Chokola et Kafée ! s'écria Odd en nous voyant sortir.

'rci, bye Odd ! lança sur le même ton Nikolas, avec un sourire légèrement espiègle.

J'avais quand même parfois l'impression qu'il s'amusait à jouer le personnage de Chokola...

***

Passe le sel tu veux ? ordonna d'une voix haut perchée une fille digne de se nommer Kafée, tant son maquillage était exagéré.

Nikolas fit glisser le petit pot vers elle sans la regarder.

Quand je croisais son regard, je sus qu'il pensait exactement la même chose que moi. Je souris légèrement, d'un air entendu.

Nous gardâmes un moment les regards connectés, hors de l'animation de la table et du réfectoire. Je repensais à ces choses qu'il m'avait dites.

Je ne croyais pas au destin, mais je ne croyais pas non plus qu'on pouvait voler, déplacer des objets à distance ou entendre les pensées de quelqu'un, avant. Apprendre à connaître Nikolas me faisait étrangement révéler à moi tous ces secrets autour de mon existence. Il me semblait qu'on était dans une parenthèse, dans une bulle dans cette école. C'était étonnamment calme. Silencieux.

Mais ne serait-ce pas le calme avant la tempête ?

Quand ma cuillère manqua ma bouche et que les spaghettis s'échouèrent lamentablement sur ma joue droite, je lâchai du regard Nikolas pour me concentrer sur mon assiette.

Eh toi !

Je levai la tête. C'était Kafée bis. Son ton autoritaire et pédant m'exaspérait.

Hum ? fis-je en baissant les yeux sur mon plat.

Tu veux pas dégager la place ? Y'a une pote barn qui arrive.

Mes spaghettis étaient vraiment délicieux. Les abandonner serait une erreur que je regretterais jusqu'au soir.

Humm... fis-je de nouveau de manière pas vraiment convaincue.

Kafée bis commençait à s'impatienter. Elle pensait probablement être supérieure au monde, sur le piédestal de ses talons. Elle pensait probablement aussi que personne n'allait lui résister ni oser lui désobéir.

Alors Nikolas fit glisser le pot de poivre vers elle. Elle eut un arrêt.

Et comprit l'importance de mes spaghettis.

Selena - Les Lunes JumellesNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ