CLXXVII. Direct Du Gauche

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Nous attendîmes un petit moment que la majorité des élèves quittent la pièce à la suite de Mme Sandor et Ania. Certains continuaient à se battre amicalement tandis que quelques autres regardaient les combats, dont à ma grande surprise Kathryx. Celle-ci était adossée à une armoire près de la porte, les bras croisés. M'attendait-elle ? Ou était-elle curieuse de l'issue du combat entre ses deux compagnons de table ?

L'insupportable ami à lunettes de Nikolas la rejoignit et lui adressa quelques mots, auxquels elle ne prit pas la peine de répondre. Je retins un sourire devant la scène.

Un lustre oscilla, faisant se déplacer sa lumière sur mes mains. Je resserrai mes bandes autour de mes poignets.

Prêt ? fis-je en position, à Nikolas.

Il hocha sobrement la tête et se mit en garde. En l'absence d'arbitre, nous commençâmes le combat d'un signe de tête qui nous échappa à l'un comme à l'autre, vestige d'une époque révolue.

Cette fois, il daigna attaquer. Et contrairement à moi quelques minutes plus tôt, il m'atteignait. Insolemment, il utilisait toujours le même coup, un simple direct du gauche, qui touchait sa cible presque systématiquement. Il avait une manière admirable de faire et de se mouvoir qui ne laissait pas transparaître son niveau – talent devrait-on dire à ce stade. J'aurais aimé pouvoir jouir de la même aisance pour camoufler des coups plus agiles et audacieux, mais même si j'avais pu, il restait bien plus fort que moi. Et cela me faisait particulièrement rager.

Peu importait sa manière de se battre, je voulais l'atteindre. Essayer de briser ce masque qu'il portait ces derniers jours. Retrouver le Nikolas d'avant. Celui trop réservé, entouré de mystère et trop sarcastique mais sans cette cruauté qui lui seyait si mal. A défaut de le toucher au cœur...

Ridicule.

L'état de concentration extrême dans lequel je me trouvais occultait tout ce qui n'était pas le combat. Plus d'élèves, plus de salle, plus d'école. Rien que lui et moi. Lui et ses yeux onyx au pouvoir étrange d'hypnotiser les gens. Lui et le paradoxe vivant qu'il était. Et accessoirement lui contre qui je voulais heurter mon poing.

Plus les minutes s'écoulaient, plus je commençai à me rendre compte d'un fait particulièrement humiliant. J'avais déjà réussi à l'atteindre par le passé, lorsque nous nous battions sur le bateau. Et j'avais progressé depuis lors. Ce qui ne pouvait signifier qu'un seule chose quant à nos luttes passées : il s'était laissé toucher.

Il s'était laissé toucher tout comme il s'était laissé aimer. Avant.

La même colère que quelques instants plus tôt monta et je sentis une énergie familière emplir tout mon être jusqu'au bout de mes doigts. Une force parcourir tout mon corps. Je me sentais puissante.

Ridicule ?

Je lançai mon poing en direction de son épaule avec une telle violence qu'il y eut un choc électrique lorsque Nikolas le contra. Méprisant la règle de la boxe française interdisant toute saisie, il garda mon poing entre ses doigts et le serra avec force.

Cessant de sautiller, je levai les sourcils, essoufflée, surprise et quelque peu offusquée de son geste.

Ne me laissant pas y réfléchir davantage, il lâcha ma main, m'adressa un regard inexpressif et m'asséna un magistral coup de poing dans le menton.

La puissance du coup me fit reculer de quelques pas et je titubai contre le mur, sonnée. Immédiatement, refusant l'évidence, je secouai la tête pour chasser les quelques étoiles de mes yeux et me remis en garde.

La vision un peu floue, je vis Nikolas se pencher vers moi et souffler quelques mots dans mon oreille bourdonnante.

— ...

Puis, clignant des yeux, je le vis, écœurée, me tourner le dos et commencer à dénouer ses bandes tout en marchant vers un binoclard plus hilare que jamais.

L'abruti ne m'avait pas ratée, aussi dû-je m'appuyer contre le mur après quelques pas, encore un peu étourdie et la mâchoire brûlante.

Un crépitement attira mon attention sur mes mains. De petits éclairs blancs.

Le cœur battant la chamade, je fis aussitôt volte-face vers le mur, tournant le dos à Kathryx et à mes quelques camarades. Je glissai mes mains bandés dans la grande poche mon sweat et me concentrai pour faire disparaître toute Électrokinésie de mes mains.

L'énergie qui m'avait envahie quelques minutes plus tôt s'estompa et disparut, et avec elle les micro serpents électriques.

Respirant de nouveau, je défis mes bandes et rejoignis Kathryx, qui ne me fit aucune réflexion sur ce qu'il venait de se passer. Délivrant ses courts cheveux de l'élastique, elle posa deux yeux noisette sur mon menton et me lança simplement, presqu'amicalement :

Je t'accompagne à l'infirmerie.

Je hochai la tête et ravalai un sourire naissant lorsque la douleur du coup se fit apprécier.

Saisissant mon sac, j'emboîtai le pas à ma camarade qui était déjà sortie de la salle de classe.

***

La vision un peu floue, je vis Nikolas se pencher vers moi et souffler quelques mots dans mon oreille bourdonnante.

« — Je n'ai que faire de ton amour. »

Selena - Les Lunes JumellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant