CXLII. Mystères De l'Anémone

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Je pris soin de ne pas montrer à Nikolas que j'avais vu pour la deuxième fois ses deux yeux. Leur souvenir me poursuivit jusqu'au soir, dans ma chambre, alors même que je n'avais plus croisé son regard plus de temps que nécessaire.

La lumière jaune dont la vieille lampe baignait la pièce éclairait doucement autour de moi, faisait ressortir la blancheur des draps, la porcelaine fissurée du lavabo, les attaches de ma serviette posée sur la commode...

Pourtant je ne voyais qu'eux.

Ces deux yeux noirs et tous les non-dits enfermés demeuraient gravés dans ma mémoire et peu importaient mes efforts pour oublier ce regard perçant, j'avais l'impression tenace de le trouver derrière moi si je me retournais.

Je devais être folle. Ou fatiguée.

Je m'assis sur mon lit.

Incapable de me coucher à une heure si peu avancée, car j'avais volontairement expédié le dîner, je décidai de lire un des livres que j'avais empruntés un peu au hasard lors de mon dernier passage à la bibliothèque. La lecture me semblait un bon moyen de me changer les idées et de me sortir de la tête Nikolas.

J'ai vraiment pris n'importe quoi, pensai-je en lisant le titre du premier livre de la pile.

Si le sens de l'orientation me faisait défaut, les qualités d'une bonne jardinière aussi. Ces dernières avaient d'ailleurs certainement sauté une génération puisque ma mère avait la main verte. Cette pensée m'arracha un sourire triste mais refusant de m'abandonner à la nostalgie, j'ouvris d'un geste rude le livre, intitulé « Fleurs Sauvages ».

 Cette pensée m'arracha un sourire triste mais refusant de m'abandonner à la nostalgie, j'ouvris d'un geste rude le livre, intitulé « Fleurs Sauvages »

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Etonnamment, connaître la date de plantation, les symboliques, les histoires, les légendes de certaines fleurs fut intéressant. Presque, n'exagérons rien.

J'étais si plongée dans l'ouvrage de botanique que je n'entendis pas qu'on toquait à ma porte. Ce ne fut que le grincement des gonds, plus fort, qui me fit bondir sur mes pieds et lâcher le livre.

Qui était entré sans mon accord et à cette heure-ci, alors que tout le monde était encore en train de dîner ?

Nikolas bien sûr.

Il ferma soigneusement la porte, puis se tourna vers moi et accrocha mon regard.

Nikolas, fis-je simplement, pas très sûre de quel ton adopter, énervé, surpris ou curieux.

Devinant ma confusion, il répliqua de la même manière, un chouilla moqueur :

Selena.

Et il sourit. D'un sourire qui lui, n'était pas le moins du monde moqueur. Je me surpris à préférer qu'il eusse été.

Immédiatement, je détournai le regard et vis que mon livre était tombé ouvert par terre. Je me penchai pour le ramasser mais Nikolas, traversant la pièce en deux enjambées, était déjà là.

Nous suspendîmes chacun notre geste et levâmes la tête en même temps. Nos crânes se cognèrent.

Nos regards ne se croisèrent pas tout de suite. Je vis d'abord le sien parcourir mon visage et s'attarder sur mes lèvres. Il s'approcha imperceptiblement. Tétanisée, l'oxygène ayant disparu de la pièce, je ne voulais pas réfléchir à ce qui allait se passer.

Il remonta son regard sur mes yeux et je me plongeai dans la nuit des siens. Il me semblait que le temps avait suspendu son cours.

Mais tout à coup, il pivota la tête et retourna le livre. Une anémone, superbement dessinée, s'étalait sur la page de gauche. Sur la droite, ses caractéristiques et ses symboles.

 Sur la droite, ses caractéristiques et ses symboles

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Ironie du hasard, il fallait que le livre tombasse sur cette page-là

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Ironie du hasard, il fallait que le livre tombasse sur cette page-là.

Le cœur battant à tout rompre, je lui arrachai littéralement le recueil des mains et le fermai. Mais c'était trop tard et je vis dans son regard qu'il avait lu.

Saperlipopette.

Immédiatement, le monde se réduisit de nouveau à l'obscurité ensorcelante de ses yeux – et pour la seconde fois en une journée tous les deux visibles.

Je portai presque inconsciemment la main à mon collier qui me semblait s'être enflammé tant il était chaud.

Il suivit mon mouvement et je vis l'onde noire de ses yeux se troubler aussitôt. Il leva brusquement un regard brûlant vers moi. Ses sourcils se froncèrent légèrement, presque comme une question. Il paraissait en proie à un combat intérieur féroce. Cela dura quelques secondes.

Mais subitement il se redressa, changeant du tout au tout.

Le combat était terminé.

Comme si nous n'avions pas été sur le point de... Comme si de rien n'était, il sortit de sa poche un petit tube.

Pour tes mains, expliqua-t-il.

Me mettant debout à mon tour, je hochai la tête, tentant moi aussi d'oublier ce que nous venions de comprendre tous les deux.

Il me donna la crème et partit, sans plus de cérémonie. 

J'aurais voulu être touchée qu'il ait remarqué que mes mains avaient subi les sévices du froid, mais j'étais trop perturbée par le constat que je venais de faire : le trouble était partagé... et l'anémone y était pour quelque chose.

***

[ sources pour le livre de botanique : 

https://www.monceaufleurs.com/blog-fleuriste/anemone-fleur-d-amour

https://www.maplantemonbonheur.fr/lanemone

https://www.art-floral.fr/fleurs/anemone/ ]

Selena - Les Lunes JumellesWhere stories live. Discover now