CXV. L'Espionnage Vs Les Recherches

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C'est parti.

Il n'y avait aux bureaux qu'un vieux bibliothécaire binoclard plongé dans la lecture d'un énorme livre. Je n'allais pas le déranger, mais surtout je me voyais mal lui demander « Serait-il possible de savoir où se trouvent des ouvrages sur vos ennemis jurés et l'histoire des Lunns ? Et pourquoi pas sur la Tuar aussi ? »

Je ne suis pas suicidaire. Encore moins quand je ne sais pas si ma recherche va aboutir.

Je décidai de commencer par l'étage, d'une part parce que si jamais Nikolas venait à se pointer, il ne me verrait pas immédiatement ; et d'autre part parce qu'il y avait beaucoup de caméras au rez-de-chaussée.

Je pris une des rangées qui partait du centre et la longeai jusqu'au fond. Un escalier en colimaçon, les rampes aussi joliment ouvragées que celles du plafond en demi-lunes m'attendait.

Je saisis le pommeau en métal et grimpai, prenant garde de ne pas rater une des marches, qui étaient très raides.

En haut, l'agencement des rayons était identique, à l'exception des bureaux qui étaient remplacés par ce trou circulaire béant, qui me semblait encore plus grand maintenant que je l'observais à son niveau.

Promenant mon regard sur les rangées, j'en choisis une au hasard, la plus proche, et m'y enfonçai, commençant mes recherches.

« Encyclopédie de la faune et de la flore » « Encyclopédie des sciences de la Terre – La Géologie tome I» « Encyclopédie des sciences de la Terre – La Géologie tome II»

Ce n'était pas ça.

Passé les trente-six tomes, je saisis le cinquième volume de « L'encyclopédie Universelle », qui regroupait les lettres QRST ; en espérant que cette édition soit moins humaine.

Tournant les pages fébrilement, j'y cherchai Tuar, télépathie, télékinésie... Dans le troisième volume, Lunn, et dans le quatrième Stéphen Moÿdan.

Rien.

Absolument rien de notable ou d'intéressant. Je n'y trouvai tout simplement pas les noms Tuar, Lunn ou Stéphen Moÿdan ; tandis que les pages consacrées à la télépathie ou la télékinésie me renvoyèrent à des thèses de parapsychologie d'illustres inconnus ou à des écrits fictifs plus ou moins contemporains.

Je regardai autour de moi. Ce rayon m'avait tout l'air d'être consacré aux encyclopédies. Si je ne trouvais pas mon bonheur ici...

Je passais donc en revue quelques autres éditions, en respectivement quarante-six, cent-vingt et soixante-douze volumes. Du lourd. Et pourtant sans davantage de résultat.

Avaient-ils classé les encyclopédies de Lunns en hauteur ?

Faisant glisser l'échelle au milieu, j'y grimpai pour les atteindre. Enfin je l'espérais.

En équilibre plus ou moins stable sur le dernier barreau de l'échelle, qui avait, au vu de ses protestations, déjà vécu plusieurs vies, j'écartais deux lourds livres rouges pour avoir la place de m'agripper, les étagères étant très étroites.

Faisant cela, je m'aperçus que ces deux derniers et tous leurs amis d'en haut n'étaient pas retenu comme en bas par une planche, mais simplement par des barres croisées de-ci de-là, ce qui permettait de voir de l'autre côté. Ce qui me permit de le voir.

Quelques mètres plus bas, assis contre la bibliothèque d'en face, Nikolas, les sourcils froncés de concentration, et les mains crispées sur la couverture reliée, lisait un livre tout fin.

Il m'avait bien eue. Depuis quand venait-il ici ? C'était la première fois qu'il quittait le petit-déjeuner aussi rapidement, mais il avait peut-être eu le temps, quelques soirs après le dîner -quand il ne venait pas m'embêter.

Mais ce n'était pas la question qui me torturait l'esprit. Non. Ma véritable interrogation était : « Que lisait-il ? ».

Je consultai ma montre d'un rapide regard en diagonale. Il restait une douzaine de minutes avant que les premiers cours ne soient sonnés.

Je continuai donc de l'espionner, essayant de déchiffrer le titre sur la couverture, mais en vain.

A sa gauche et devant lui, il y avait quelques bouquins ouverts à différentes pages, étalés pêle-mêle les uns sur les autres. Il cherchait quelque chose de précis.

Je mourrais de curiosité, plus que ça même, j'étais assoiffée de connaissances. De ces connaissances qu'il, pour une raison obscure, ne voulait pas me transmettre.

Règle d'or : ne jamais rester sur un barreau, immobile, pendant plus de huit minutes. Je n'avais pas chronométré, mais la crampe insidieuse qui commençait à grimper le long de mon mollet tétanisé ne m'y trompais pas.

Je tentais de déplacer mon point d'appui de la gauche vers la droite. Retenant ma respiration, quittant un court instant des yeux Nikolas, j'y parvins sans bruit.

Un coup d'œil au passage à mon poignet, qui m'indiqua qu'il ne me restait que quatre minutes avant que la première sonnerie ne retentisse.

Il était toujours là, lisant scrupuleusement chaque ligne, de chaque page, du même livre.

Et tout à coup, il se leva, et rangea dans les étagères juste au-dessous de moi les livres étalés autour de lui, si fait que je ne vis pas où il les mit exactement.

Mais il restait le bouquin dont la lecture le rendait si concentré, qu'il avait laissé à l'endroit où il était assis un instant plus tôt.

Ni une ni deux, je le saisis par télékinésie, et l'intervertis avec un autre livre dont la couverture était semblable, c'est-à-dire verte, en relief et reliée, que j'avais repéré pendant mon espionnage, le chauffant au passage rapidement pour reproduire ce que ses longues mains avaient du laisser comme chaleur.

Nikolas ne s'aperçut à aucun moment de l'échange, qui avait été très rapide et sans bruit.

Se retournant enfin, il saisit le faux livre et soudain, mu par une inspiration subite, il leva les yeux dans ma direction.

Selena - Les Lunes JumellesWhere stories live. Discover now