CLXXV. Victoires Pour Un Affront

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Il était accompagné d'un brun à lunettes que j'avais déjà vu en cours, mais à qui ni Nikolas ni moi n'avions parlé. Enfin, c'était ce que je pensais.

Ils se dirigeaient vers moi – ou plutôt vers la salle derrière moi – d'un pas allègre en se racontant l'un et l'autre des choses qui devaient être d'une telle drôlerie qu'on les entendait de l'autre bout du couloir rire aux éclats.

Alors qu'ils arrivaient à mon niveau, je me risquai à le regarder. Mais aussitôt eus-je croisé son œil que mon corps tout entier se figea, mes pieds vissés au sol. Ma respiration commença à s'accélérer et je me mis à manquer d'air, j'avais l'impression d'étouffer. Un frisson glacé me parcourut l'échine de bas en haut. Son œil n'avait jamais été aussi sombre. L'onyx y tournoyait dans les abysses de son iris et je m'y perdais, absorbée dans la contemplation inconsciente de cette noirceur.

Je ne parvenais pas à me détacher de cette vision, alors, dans une tentative de sortir de cet état hypnotique malsain, je serrai fort l'attache métallique de mon sac de ma main toute ankylosée que je parvins à mouvoir. La douleur me fit l'effet d'une décharge électrique et dissipa aussitôt le magnétisme de son œil.

Mon espèce de malaise n'était malheureusement pas passé inaperçu auprès du brun à lunettes qui, remarquant ma soudaine pâleur, s'exclama :

Eh bien, attention Chokola voyons ! (Il eut un rire niais et gras en me désignant du doigt.) Tu vas faire tomber dans les pommes cette demoiselle ! Encore une victime de tes charmes !

Nikolas m'effleura du regard calmement et sourit. Un sourire moqueur, satisfait. Cruel de suffisance.

Si tu l'dis...

Et changeant de sujet, le même sourire détestable aux lèvres, il passa son chemin.

Abasourdie, je le regardai s'éloigner, passive. Je commençais à réaliser que ce « ridicule » était peut-être plus sincère que je ne l'avais pensé.

***

Les jours passèrent, lentement. Je ne voyais Nikolas ni en dehors des cours, ni en cours, qu'il séchait presque tous. J'en étais venue à me demander s'il ne m'évitait pas. Pourtant, les rares fois où je le croisais, il avait cet air calme et hautain qu'il affichait maintenant la plupart du temps, agrémenté d'un petit sourire satisfait que je détestais.

Plus le temps s'écoulait, moins je comprenais son attitude. Je n'arrivais pas à me faire à l'idée qu'il ne m'aimait pas au point de railler ce que je ressentais et ce que j'étais. Pourtant, paradoxalement, cette incompréhension me permettait de m'occuper l'esprit et de ne pas trop penser à ce que je ressentais. Cependant, s'il pouvait se permettre de rater certains cours de M. Dreven ou de Mme Desmond, ceux de Mme Sandor étaient obligatoires. Nul ne se risquerait à provoquer la professeure si crainte.

Je me faisais cette réflexion tout en entrant dans mon cours de l'après-midi, le cours spécial défense tenu par l'humaine Ania dans la salle de Mme Sandor. Me hissant sur la pointe des pieds, je tentais d'apercevoir quelque chevelure ébène parmi le troupeau de Nyfødts et de Barns attendant sagement les instructions. L'atmosphère était déjà chargée d'excitation, de défi et... de transpiration, constatai-je à mes dépends en tournant malencontreusement la tête face à l'aisselle d'un géant hirsute. Mes talons rejoignirent illico presto le sol et je me frayai hâtivement un chemin parmi les élèves afin d'échapper aux effluves toxiques. Je finis par repérer Nikolas à l'autre bout de la pièce, à côté du fameux brun à lunettes.

La première partie du cours porta sur quelques coups basiques dont Ania nous détailla les mouvements, sous l'œil attentif de Mme Sandor, debout près de son bureau.

Etant tous très appliqués – la professeure qui nous observait attentivement y étant pour quelque chose – Ania souhaita assez rapidement passer aux combats, au grand bonheur de tous. Après avoir précisé que les coups ne devaient pas être donnés avec violence et expliqué le système de points, elle nous répartit en binômes.

Je me retrouvai avec une jeune fille un peu gauche dont je parvins à venir à bout sans beaucoup d'efforts. Un regard en diagonale m'informa que Nikolas avait lui aussi remporté son combat.

Ania nous applaudit tout sourire et s'exclama qu'elle allait nous faire tourner. Ceux qui gagnaient monteraient d'un binôme tandis que ceux qui perdaient en descendraient d'un. Les regards brillèrent et une ambiance de compétition s'installa. Mme Sandor promenait son regard tranquillement sur tout le monde, évaluant nos capacités. Ce n'était pas le moment de me trahir par une technique trop avancée. Mais Nikolas était dans les premiers binômes et j'avais la ferme intention de le confronter.

Quelques victoires plus tard, je me retrouvai contre l'armoire à glace que j'avais repérée au cours précédent s'entraînant avec Kathryx, laquelle était aussi dans les premiers binômes.

Si je le vainquais, je dépassais le niveau « talent inné » et trahissais un certain entraînement. Et plus nous montions hauts dans le binômes, plus je sentais que Mme Sandor prêtait attention à nous. Je ne devais pas me faire remarquer.

Pourtant, si je gagnais, j'allais pouvoir affronter Nikolas qui, depuis le début alternait scrupuleusement victoire et défaite. Etant deux binômes plus haut que moi, il allait donc perdre et se retrouver contre moi.

Ma décision fut vite prise. J'allais utiliser la force du géant devant moi contre lui et déguiser les bons coups comme des hasards.

Jouez ! lança Ania en français.

Je me mis à sautiller, étudiant la manière de se déplacer de mon adversaire. C'était une force de la nature et il était visiblement habitué à sa battre dans des contextes moins règlementés. Ses coups ne promettaient aucune douceur. Mais si sa grande carrure l'avantageait sur ce point, elle l'embarrassait dans la vitesse de ses gestes. Je n'eus aucun mal à esquiver les premiers coups de poing qu'il me lança.

J'utilisai cette stratégie quelques minutes. Nos scores étant 0 à 0, je me décidai dans la dernière minute à lui donner un coup de pied dans la jambe. Mais il fit preuve d'une étonnant rapidité et se déporta sur le côté, armant son bras dans un direct qui s'annonçait dur. Je n'eus d'autre choix que de me tourner très vite pour éviter son coup et, la jambe toujours en l'air, je lui assénai sans réfléchir un fouetté sur la tête.

Je me rendis compte de mon erreur trop tard. Il eut un regard surpris. Ce geste exigeait une souplesse et un contrôle que je n'avais pas dévoilés jusque-là. Mon cœur se mit à battre plus vite. Il fallait que je trouve vite une solution pour dissimuler mon niveau. Il n'y en avait que deux : perdre ou me laisser toucher.

Il décida à ma place en m'envoyant un superbe direct dans le ventre qui me projeta sur le sol. Des étoiles plein les yeux je me relevai, tremblant légèrement mais un sourire aux lèvres : j'avais gagné, quatre à un.

Les applaudissements d'Ania retentirent et chacun changea de binôme.

Jouez !

Je levai la tête vers Nikolas.

Selena - Les Lunes JumellesWhere stories live. Discover now