CLXIV. Le Maladroit & La Perche M'Ennuient

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Nikolas demeura introuvable jusqu'à ce que la sonnerie annonçant le début des cours du matin retentisse. Celle-ci ne tarda pas, étant donné le temps que j'avais passé dans le réfectoire.

Mme Desmond était déjà dans la salle de classe quand j'y entrai à la suite de mes camarades et des Barn. Comme l'après-midi dernière, nous allions nous entraîner à la valse.

Un pas en arrière pour éviter un garçon qui courait vers sa bien-aimée me fit percuter quelqu'un. Je me retournai aussitôt pour rattraper la personne par le bras.

Pardon Kathryx ! fis-je, mon geste suspendu.

Elle avait repris son équilibre si vite qu'elle n'avait pas eu besoin de mon aide.

De rudement bons réflexes.

C'est bon, merci, répondit-elle avec douceur.

Elle me regardait presque gentiment, tout en tirant un élastique d'autour son poignet pour attacher ses courts cheveux en demi-queue.

Chokola n'est pas là ?

Sa question me surprit. Etions-nous si souvent ensembles qu'on remarquait immédiatement l'absence de l'un ou de l'autre ou bien son voisin de table lui manquait ?

J'avais l'impression que tout le monde s'intéressait à Nikolas ou à moi aujourd'hui... ou était-ce moi qui cherchais à donner sens à des détails non corrélés ?

Il heu... ne devrait pas tarder, bafouillai-je.

Je ne savais même pas où il était.

Heureusement, Kathryx n'insista pas et avec son sens habituel de la politesse, hocha simplement la tête et tourna les talons.

En parlant de talons, j'étais bien contente de ne pas en avoir et ne pas devoir en porter lorsque le garçon avec qui je dansais par la suite me marcha pour la cinquième fois sur les pieds. Il s'effondra pour la cinquième fois en excuses et je lui délivrai un sourire pincé puissance cinq.

Ce qui devait arriver arriva et à mon grand bonheur il se foula la cheville (tout seul, je précise) en se marchant lui-même sur le pied. Ceci me permit de m'assoir à l'écart pendant les quelques minutes restantes de la musique.

Je cherchai attentivement Nikolas, mais aucune trace de lui. Visiblement, il avait décidé de sécher.

A la fin du morceau, il y eut trois petites secondes de flottement, le temps que tout le monde change de partenaire.

M'accorde... re... riez-vous cette danse ?

Droit comme un I, un garçon aux cheveux roux indisciplinés se tenait devant moi, attendant ma réponse.

Oui, marmonnai-je.

Son visage me criant « Oh zut je suis tombé sur la grogneuse de service », je me sentis forcée d'ajouter :

... Avec plaisir.

Et me levai en prenant sa main.

Celui-là dansait remarquablement bien mais était si grand qu'il manquait de cogner le chandelier à chaque fois que nous traversions la salle. Tentant de ne pas laisser transparaître dans ma voix l'ennui et la frustration que j'éprouvais, je le lui fis remarquer. Il veilla ensuite à ne nous faire danser que sur les côtés de la salle.

Que le temps passait lentement. On compare souvent le temps à une rivière qui s'écoule. Actuellement elle me semblait être plutôt de la boue bloquée par de gros rochers. La valse ? Je pouvais comprendre que nous ayons une séance pour apprendre les pas, mais l'équivalent d'une journée entière ?

Inévitablement, je retombais dans mon ennui. J'étais obligée de garder la tête tordue sur la droite si je ne voulais pas cogner mon front contre le géant qui me servait de cavalier. Mon paysage se réduisait au point de vue d'un chat, soit les pieds de mes charmants camarades de classe.

Un, deux, trois. Tout le monde était parfaitement en rythme, les pieds dansant sur leur reflet dans le plancher ciré. Chaussures et souliers, tous ensemble.

Lorsque Mme Desmond tapa trois fois dans ses mains et décréta que la séance était terminée, je faillis bien me jeter à son cou pour lui claquer une bise sonore sur chaque joue.

C'était un euphémisme d'affirmer que mon ennui était grand.

Je me précipitai pour aider tout le monde à ranger deux trois chaises puis m'éclipsai dans les premiers.

Le cœur battant, je courus à travers les couloirs dallés illuminés de temps à autres par des lampes jaunes fixées aux murs. Avant de sortir, je me stoppai devant une fenêtre et tout en reprenant ma respiration, écartai le rideau. La vitre glacée était couverte de buée. Passant ma main sur le verre, j'approchai mon visage. Il neigeait encore plus fort que lorsque j'étais entrée dans le bâtiment mais je ne parvenais pas à distinguer grand-chose à part le noir du ciel, le blanc de la neige et les quelques points colorés des guirlandes dont la lumière diffuse mélangeait noir et blanc.

Grelottant par anticipation, je poussai cependant avec force la lourde porte et courus du mieux que je pouvais jusqu'au réfectoire, mes pieds s'enfonçant lourdement dans la couche de neige déposée sur le sol qui ne cessait de s'épaissir.

Alors que ralentissais à quelques mètres de mon objectif, on me bouscula.

Décidément, c'est mon jour.

Je tournais la tête pour voir une silhouette toute de noir vêtue, la capuche sur la tête disparaître à l'angle que formait une camionnette blanche.

Selena - Les Lunes JumellesWhere stories live. Discover now