Selena - Les Lunes Jumelles

CLXXVIII. Portrait Refait Et Portrait Défait

La fraîcheur du couloir fit office d'analgésique pour ma mâchoire tout engourdie dont l'existence m'était rappelée à chaque pas.

Je risquai un regard en diagonale à Kathryx. J'espérais qu'elle n'avait pas vu les quelques éclairs d'Électrokinésie quelques instants plus tôt. Qu'elle me propose d'aller à l'infirmerie et m'y accompagne m'étonnait, mais c'était – bien heureusement – la seule chose qui sortait de l'ordinaire, son attitude envers moi n'ayant pas changé d'un iota.

Dans le couloir menant à l'infirmerie, Kathryx ralentit imperceptiblement le pas et eut un moment d'hésitation devant la porte avant de toquer. Je ne me posai pas plus de questions que ça sur ce curieux comportement et la suivis, silencieuse.

La porte se referma brutalement derrière moi avec un claquement qui se propagea dans toute la longueur de la pièce, se répercutant sur le métal des lit.

Cela ne faisait pas si longtemps que j'étais venue ici mais la blancheur environnante me surprenait toujours. Les murs de la petite entrée dans laquelle nous nous trouvions était blancs, le lit d'auscultation à côté du bureau et de l'armoire recouvert d'un drap blanc. Même l'infirmier était dans le thème.

Un bruit de pas se fit entendre et ce dernier, Odd Nil, cheveux blancs, apparut au milieu de la rangée de lits, tout sourire. Il avait un néon sous le bras, un outil dans la main gauche et des fils dans la main droite.

— C'est Madame Streng qui vous envoie ? Et reconnaissant ma camarade. Ça alors Kathryx ! Tu tombes à point !

Posant son chargement sur un lit, il passa devant nous en boutonnant sa blouse qui volait derrière lui comme une cape et attrapa un large cahier sur son bureau.

Kathryx ne le quittait pas du regard, suivant ses moindres gestes avec attention. Un sourire flottait sur ses lèvres, sourire que je ne lui avait jamais vu. Un sourire d'une douceur qui ne pouvait être adressé qu'à une personne spéciale.

Le jeune homme, sans soupçonner le moins du monde l'attention dont il était le centre, sortit un stylo de sa poche et griffonna sur le cahier.

— Kathryx et... Il leva la tête vers moi, interrogatif.

— Kafée Falsi.

Son regard s'éclaira.

— Mais je t'ai déjà vue, pour... un nez qui saignait c'est ça ? s'exclama-t-il.

— Tout à fait, j'étais venue avec...

Ma voix se perdit dans son rire éclatant qui résonna dans toute la pièce.

— Je vais te chercher de la glace pour ta mâchoire, tu peux t'asseoir sur un lit.

Retroussant ses manches il s'adressa à Kathryx :

— Même problème qu'avant-hier, mais avec le néon du lit quatre...

Elle sourit et tendit la main.

Odd rit et, sortant de sa poche un tournevis, ajouta avec malice :

— Que ferait l'infirmier de cette école sans la technicienne Kathryx !

Sans quitter son sourire, elle leva les yeux au ciel, partit chercher le matériel qu'avait laissé le jeune homme sur un lit et disparut derrière un rideau.

Odd m'apporta vite un sac de glaçons entouré d'un tissu puis rejoignit Kathryx.

Je me retrouvai donc seule, ou plutôt en compagnie de ma mâchoire qui avait un peu enflée. Rapidement, la glace anesthésia tout le bas de mon visage avec efficacité et je pus me concentrer sur autre chose que ma blessure.

Promenant mon regard autour de moi, je notai avec amusement l'armoire entrouverte contenant du matériel médical et des linges impeccablement rangés et à côté – probablement jetés là par leur propriétaire – une veste en cuir et un casque de moto qui gisaient sur la chaise du bureau. Quant à celui-ci, il était aussi ordonné que le reste, avec ses dossiers en pile dans un coin, le pot à crayon dans l'autre et le sous-main parfaitement parallèle à l'ensemble. Seul le cahier précédemment utilisé avec le stylo juraient.

Descendant du lit, je fis quelques pas et ce faisant, remarquai un autre élément discordant. Un sorte de petit cadre, au bord du bureau, face contre le bois. Il avait dû se renverser au moment où Odd avait ouvert le large cahier.

Me sentant l'âme charitable, je m'approchai et soulevai le cadre avec précaution. Curieuse, je le retournai et regardai la photo. On y voyait Odd, les cheveux châtain, un sourire radieux sur les lèvres, enlaçant une jeune fille tout aussi radieuse, sous un soleil... radieux. Cependant, la photographie était déchirée au niveau du visage de la fille, formant un trou à l'endroit où auraient dû se trouver les yeux.

Cela ne m'empêcha pas de constater avec un pincement au cœur que cette fille-là n'était pas Kathryx, ne serait-ce que par la couleur de la longue chevelure – blonde – ou par la morphologie fluette de la belle inconnue.

Je décidai de reposer le petit tableau couché sur le bureau, tel que je l'avais trouvé. Odd me paraissait accorder beaucoup d'importance à séparer ce qui concernait son métier d'infirmier – cette partie étant rangée, triée, classée – de ce qui se rapportait à sa vie personnelle – cette partie étant plutôt dérangée, éparpillée, confuse.

L'infirmier, derrière son sourire et ses cheveux d'ange, cachait une histoire, avait une vie. Et je ne voulais pas intervenir dans la sienne ni dans celle de Kathryx.

🌙

[NdA : il n'y avait pas d'endroit plus approprié que ce chapitre pour y mettre cette illustration.]

[dessin réalisé par Sanobryme]