CXXI. Tuar et Cie

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Je heurtai le petit placard. Nikolas était à quelques centimètres de moi, la main toujours fermée autour de la mienne et de la boîte.

Ma poitrine semblait exploser, brûlante.

Ce qui devait arriver arriva : le livre glissa tout à fait et tomba sur le sol, ouvert.

Une lueur passa dans son œil. Il libéra ma main de sa poigne et se pencha sur le vieil ouvrage.

Il ne parut pas surpris en découvrant les pages qu'il avait lues le matin-même.

Il soupira seulement en relevant la tête.

- C'était donc bien toi, murmura-il simplement.

Je ne sus quoi répondre. Son attitude me déconcertait.

Il se remit debout.

- Que veux-tu savoir ?

J'étais sidérée. Lui, qui s'était efforcée depuis tout ce temps à me cacher tant de choses me les livrait comme ça, tout à coup ?

Je ne le laissai pas voir mon étonnement et ramassai le livre pour le feuilleter.

Les pages jaunies étaient couvertes d'une écriture fine, et de temps à autre un petit schéma ou dessin illustrait les propos. Propos qui m'avaient tout l'air de n'être que des légendes.

Evidemment, je ne faisais que déchiffrer, le texte n'était ni en anglais, ni en français, ni en aucune langue que je ne connaisse. Était-ce du gaélique ancien ?

Quoi qu'il en soit, continuant de tourner les pages, je finis par tomber sur ce mot : Tuar.

Le désignant, je dis à Nikolas :

- Je veux savoir ce qu'il est écrit à propos de cette Tuar.

Nikolas avait croisé les bras et s'était adossé à la petite commode, m'observant d'un air attentif.

Il ne répondit pas tout de suite, semblant avoir un combat intérieur.

Je réitérai ma question, le cœur battant. J'avais l'impression de toucher la Vérité avec un grand V du bout des doigts. Oncle Kern et lui avaient fait tant de mystère autour de cette Tuar que j'en étais venue à penser qu'elle serait la clef de tout.

Nikolas bougea ma main de la page et me montra son état : toute à mon excitation, je n'avais pas remarqué les multiples taches et usures qui la couvraient.

Je levai un regard décidé.

- N'y a-t-il pas quelques mots que tu peux déchiffrer ? Toute la page n'est pas dans cette état. (je lui donnai le livre) Et puis, tu en sais assez pour me dire le principal, fis-je remarquer, non sans malice.

Il sourit en diagonale, mi-figue mi-raisin. Son dilemme de me révéler ou pas la vérité n'était pas tout à fait résolu.

Je trépignais intérieurement.

Il finit par soupirer. Il posa un œil indéchiffrable dans les miens.

- C'est une langue très ancienne, peu la comprennent et la page est en mauvais état. Cependant, je peux te donner la traduction qui fait l'unanimité chez les initiés « Le Phénix réveillera une force obscure et destructrice ». Le reste demeure illisible ou incohérent depuis des siècles.

- C'est le seul exemplaire ?

- Oui, mais ce n'est pas le seul à parler de la Tuar. Il existe à vrai dire beaucoup de documents sur la Tuar. On peut trouver tout et son contraire.

- Mais alors, celui-là... ?

- Il est très ancien. On peut espérer que les mythes se soient moins déformés.

Je comprenais maintenant pourquoi nous avions pu « aussi facilement » nous procurer un document sur la Tuar.

Je comprenais également ses recherches. Si oncle Kern était persuadé que j'étais l'objet de la Tuar, donc le Phénix, j'avais l'impression que Nikolas doutait.

Pensait-il que j'étais la for... Impossible.

- La force obscure et destructrice dont parle la Tuar serait une guerre entre les lunn bleus et les lunn rouges.

Que ma naissance aurait provoqué ?

Nikolas me regardait fixement, jaugeant ma capacité à intégrer ces informations pour le moins... déconcertantes.

J'en restai pantoise devant les faits. La vérité ou du moins une partie était là, devant mes yeux, et au lieu de m'illuminer comme je l'avais cru, m'éblouissait violemment, mettant en lumières des aspects auxquels je n'avais pas pensé.

Notamment le fait que je sois l'élément déclencheur d'une guerre entre deux familles surnaturelles ennemies depuis des siècles.

Cette vérité, j'en avais peur, risquait également de m'aveugler.

Je ne pouvais, je ne devais pas culpabiliser. Je ne pouvais pas penser que ma naissance était une erreur, que c'était à cause de moi et moi seule si une guerre se déclarait.

Non.

Ce serait ma faute en revanche si ne prêtais pas attention au rôle de Phénix. Si je n'en étais pas la cause volontaire, je supposais avoir au moins un impact possible sur cette guerre qui se profilait. Quels étaient mes pouvoirs ? Mes capacités ? Mes particularités ?

Que je sois ou non le Phénix, il était clair que descendre des deux familles n'était pas anodin. Je n'avais pas fui avec Nikolas pendant plusieurs mois pour rien.

Selena - Les Lunes JumellesTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang