CLXIX. Cravate & Love

223 29 38
                                    

Mon cœur battait à tout rompre tandis que je traversais la foule des élèves en train de se lever. Je marchais si vite que je terminai le dernier mètre en patinant. Heureusement, je me rattrapai d'une main à une colonne et récupérai de l'autre la pomme de pin qui s'était décrochée de la guirlande par mon arrivée fracassante.

C'était derrière cette colonne qu'il s'était éclipsé. Il n'y avait personne mais une petite porte se découpait dans le mur de pierre, pas entièrement cachée par les décorations.

Petite, mais lourde, pensai-je en la poussant de ma main gantée et en retirant de justesse ma traîne de l'embrasure. La battant se ferma dans un bruit lugubre qui résonna sourdement dans un silence surprenant qui contrastait avec l'animation de la Salle de Bal.

Je n'étais jamais allée dans ce couloir-là. Très sombre et étroit, de toutes petites fenêtres situées en hauteur étaient la seule source de lumière. Autant dire qu'on n'y voyait rien.

J'attendis quelques instants, le temps que mes yeux s'accoutument à l'obscurité, puis je fis quelques pas vers la première fenêtre. Je tentai d'en utiliser la faible lumière pour percer les ténèbres plus avant et aperçus un minuscule éclat de lumière.

Je m'avançai vers celui-ci. C'était le bouton de manchette argenté de Nikolas, lequel était adossé au mur, les bras croisés. Ses yeux étaient plongés dans la pénombre, si fait que je ne parvenais pas à discerner s'ils étaient ouverts ou fermés.

Nikolas ? tentai-je, étonnée qu'il n'ait pas de réaction.

Selena.

Il avait chuchoté, et c'est à peine si ses lèvres faiblement éclairées par un rayon de lune avaient remué.

D'ordinaire, il me dépassait d'une bonne tête, mais ce n'était pas le cas actuellement, du fait de mes talons et de sa position nonchalante. Mon visage était ainsi presqu'au même niveau que le sien.

Mon regard se posa sur sa cravate. C'était bien de ce violet magnifique qu'était la cravate que je lui avais achetée à Månegrend. Il la portait.

Je remarquai alors qu'elle était mal nouée : la doublure – censée être invisible – dépassait.

Je fis un pas vers lui, incertaine.

Son mutisme me perturbait et tout mon courage s'était envolé à sa vision. Je n'osai pas briser le silence une nouvelle fois. Peut-être qu'un geste serait plus éloquent qu'une phrase pour lui signifier ce que je ressentais.

J'avançai la main pour effleurer le tissu de mes doigts.

Il faisait froid dans le couloir et je sentais à travers mes semelles combien les dalles étaient gelées. Par moment, un courant d'air glacial traversait le couloir et me faisait frissonner. Cependant la température m'était bien égale. J'avais l'impression que mon collier à lui seul pourrait réchauffer l'école, il me faisait l'effet d'une braise incandescente, dont il en avait l'apparence.

Mais tout mon environnement me semblait futile. J'avais le sentiment étrange d'être à ma place, j'avais une sensation de plénitude. A cet instant précis, je ne fuyais pas le passé et ne courrais pas après un futur incertain. J'étais là, avec lui. Libre.

Et plus je réalisai cela, plus je me rendais compte de la place qu'il avait déjà dans mon cœur. Mon cœur, dont les battements étaient si violents que je craignais qu'il ne les entende.

Il y eut un instant de flottement puis il décroisa ses bras pour plonger ses mains dans ses poches. Hésitante, et à mon grand embarras presque tremblante, je rajustai le tissu violet.

La pénombre qui baignait à demi son visage m'empêchait de voir ses yeux et son expression. Seule ses lèvres étaient visibles.

Alors doucement, je m'approchai d'elles et à quelques centimètres, je murmurai, tout bas, simplement :

Je t'aime.

Il était figé, immobile. Mais avant que nos lèvres ne se rencontrent, il détourna imperceptiblement la tête :

Pourquoi ? fit-t-il, son souffle se mélangeant au mien.

Je reculai légèrement, étonnée de sa question. Je tentai de distinguer ses yeux à travers les ténèbres mais celles-ci étaient trop épaisses.

Je n'avais pas de réponse à lui donner. Ces sentiments que j'éprouvais m'avaient été inconnus jusqu'à peu encore. Il était plus qu'un ami et ne pourrait jamais en être qu'un pour moi.

Parce que tu es toi.

Il ne répondit rien et les secondes s'égrenèrent, lentement, sans plus de réaction de sa part. Soudain, j'entendis un petit bruit étrange, comme un hoquètement.

Je réalisai qu'il riait doucement. Ne sachant pas trop comment réagir face à ce rire inopiné, j'attendis qu'il parle, qu'il s'explique. Ce qu'il finit par faire :

Te souviens-tu de ce que tu m'avais accordé pour mon anniversaire ? Un vœu.

Je hochai la tête silencieusement, ne voyant pas où il voulait en venir. Ou peut-être que...

Mon traitre de cœur se mit à battre la chamade. Je notai avec bonheur que j'étais en contre-jour, ce qui dissimulait mon visage – et par la même occasion la palanquée d'expressions qui le traversait – à Nikolas.

Je souhaite que tu ne m'aimes pas, asséna-t-il.

Sa phrase me fit l'effet d'une douche froide. Mes mains, toujours sur son torse, glissèrent d'elles-mêmes, et tombèrent le long de mon corps, sans forces. Etourdie comme si je venais de me prendre un coup de poing, je le vis à peine partir. La lourde porte claqua sinistrement derrière lui.

Il avait soufflé en s'en allant, de manière quasi inaudible un « ridicule », qui s'enfonça dans mon cœur brûlant comme une écharde glacée. Mais le sang ne coula pas, mes larmes ne tombèrent pas.

Je demeurais, debout, abasourdie par ce qui venait de se passer. Je n'avais plus de notion du temps et ce n'est qu'au son de la cloche annonçant la Valse que je sortis de mon étrange transe.

Selena - Les Lunes JumellesМесто, где живут истории. Откройте их для себя