CXX. Commode

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Il marchait vite, aussi peinais-je un peu à rester à sa hauteur.

J'avais marqué un deuxième point aujourd'hui. J'étais persuadée que ce pendentif était plus qu'un simple collier. Que cette pierre rouge foncé avait quelque chose de plus que son nom « Vidua Lacrimam ».

— Larme de Veuve...murmurai-je.

Je levai brusquement la tête. Nikolas me regardai, un sourire en coin.

— Tu es curieuse de savoir ce que ça signifie...

— Et tu ne m'empêcheras pas de le savoir, attaquai-je directement.

Il me lâcha du regard.

— Je ne ferai rien. Promets-moi seulement une chose.

Je m'en doutais. Il ne m'aurait pas laissé une information sans avoir quelque chose en échange.

— Qu'est-ce ?

Il s'arrêta et se tournant vers moi, il ancra son œil noir dans le mien.

— Ne le retire pas.

Je retorquai :

— Comment pourrai-je te faire cette promesse si je ne sais pas ce qu'il est, ce qu'il fait ? Comment est-ce ...

— Tu pourrais simplement mentir, me coupa-t-il.

Et il reprit son chemin.

Désarçonnée, je ne trouvai rien à lui répondre. Quelles étaient les propriétés de cette pierre ? Pourquoi accordait-il tant d'importance puis si peu à ce que je le garde ?

Cette réaction des plus étranges n'avait fait qu'attiser ma curiosité. A propos du pendentif, mais aussi à propos de lui.

Ses raisons, ses émotions, sa personnalité, son but... tout demeurait flou autour de lui.

Je le rattrapai et lui saisissant le bras, lui promis :

— Je le garderai.

Je glissai un regard en diagonale vers ses mains. Elles avaient eu un sursaut.

Mon raisonnement était juste.

La raison pour laquelle Nikolas me demandait ça, si je la trouvais, me ferait découvrir quelque chose sur lui. J'en étais persuadée, ce pourquoi il me demandait cela était en partie personnel.

Son armure si solide se fendait peu à peu sous mes attaques...

Au réfectoire, nous fûmes rejoints presqu'immédiatement après nous être servis, par Zella, Sin et ses sbires, dont Joia, la blonde qui s'était fait manipulée.

Ils ne nous laissèrent pas tellement le choix de nous laisser s'installer à la même table qu'eux ou pas. Ils nous entraînèrent et nous fûmes bientôt tous attablés sur une des grandes et longues tables de bois.

A l'entrée, entre deux rires, Zella me complimenta sur mon maquillage.

Au plat et au fromage, elle ne m'adressa pas la parole, hautaine.

Au dessert, elle redevint douce comme un agneau, écoutant plus que parlant.

C'était assez impressionnant de la voir jongler entre ce ton et cette attitude tantôt flatteur tantôt supérieur.

Cette virtuosité pour le moins spéciale démontrait bien sa grande habitude de la manipulation. Elle voulait que je devienne son chien, un de ceux qui la suivaient partout et la soutenaient dans toutes ses folies cruelles.

Le dîner fut insupportable. Et difficile. C'était dur de jouer à son jeu. A leur horrible jeu du pouvoir.

Constamment être concentrés sur son personnage, sur ses paroles, sa manière d'être et de bouger, ... Tant de choses à contrôler.

***

Je fermai le robinet rouillé et m'essuyai les mains et la bouche. L'eau n'était pas chauffée, mes dents que je venais de brosser pouvaient en témoigner.

J'étais prête. Je m'étais forcée à retenir ma curiosité jusque-là. Me laver les dents était la première chose que j'avais faite après avoir rejoint ma chambre en trombe. Me débarrasser de toute la crasse dite et entendue pendant le repas.

Je secouai la tête, reprenant mes esprits.

Ma serviette et ce qu'elle contenait était étalés sur la petite commode-placard.

Traversant en diagonale la pièce, je me jetai sur le livre. Je passai mes doigts sur sa couverture verte, savourant en avance toutes les connaissances qu'il ne manquerait pas de m'apporter. Des révélations.

Un grattement me fit soudain violemment sursauter et j'eus juste le temps de me retourner que Nikolas avait atterri dans ma chambre, devant moi.

Pire timing n'existait pas.

— Nikolas ! m'écriai-je, essayant de cacher ma gêne, étirant les coins de ma bouche en un semblant de sourire.

Il sourit en coin et sortit de sa poche une petite boîte noire.

— Il ne te restait normalement qu'un jour d'avance. Je n'ai pu aller en acheter que cette nuit.

Des lentilles.

— S'il jamais il t'en manque, reprit-il, dis-le-moi je te donnerai les miennes, je n'en ai plus besoin.

En effet, son œil s'était tellement obscurci qu'il était maintenant noir d'encre, une couleur qui pourrait être celle des yeux d'un Télépathe.

Ces lentilles devaient coûter extrêmement cher, pour être non seulement portées par des yeux vairons et leur donner la même couleur, marron ambré ; mais aussi être parfaitement indiscernables : personne ne s'était douté jusqu'à présent du subterfuge.

Aussi, c'était Nikolas qui se chargeait de nous ravitailler en lentilles.

Nikolas me tendit la boîte, la main tendue, pour que je la prenne.

Seulement, mes deux mains étaient prises à tenir le livre, dans mon dos. Les deux car ce dernier menaçait de glisser, mes doigts crispés ne tenant que le bord.

Les yeux plantés dans celui de Nikolas, je lâchai de ma main droite la couverture et saisis le petit coffret.

Son sourire en coin s'élargit.

Sa main se referma sur la mienne.

Puis il s'approcha, me faisant reculer, encore et encore, jusque la commode.

Je ne le lâchais pas du regard. Mon cœur battait la chamade.

Selena - Les Lunes JumellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant