CXC. Parlottes

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C'est avec son perpétuel sourire blanc qu'Odd nous accueillit dans son infirmerie. Il fit asseoir Lone qui ne cessait de pleurer, silencieusement. Après lui avoir passé les mains sous de l'eau tiède pendant quelques minutes, il les inspecta avec attention. Désignant sa main gauche, dont la peau était gonflée, rouge, suintante et couverte de cloques, il rendit son diagnostic :

Cette main est brûlée au second degré superficiel, c'est celle qui te fait le plus mal normalement. Je vais te donner des antalgiques pour la douleur. (puis en montrant l'autre main, dont la peau était pâle sous les croûtes de peau noire) Celle-ci est plus gravement lésée, au second degré profond. Si tu as moins mal c'est que les terminaisons nerveuses sont en partie touchées.

Lone l'écoutait, suivant scrupuleusement du regard ses faits et gestes. Alors qu'Odd se levait, elle demanda d'une petite voix hésitante :

Est-ce que ça va... guérir ?

Odd sourit chaudement tout en sortant quelques boîtes de l'armoire. Il les déposa sur le lit et en sortit des pansements et des bandes.

J'ai ici des pansements antibactériens et des...

Monsieur ! Est-ce que ça va guérir... comme avant ?

Lone s'était levée, les yeux brillants. Sa poitrine se soulevait par à-coups et son visage rougi témoignait de son agitation intérieure.

Odd posa sa main sur l'épaule de la jeune fille pour la faire rassoir puis dit avec une voix calme :

Lone. Je ne sais pas exactement comment vont évoluer tes mains.

A ces mots, ses yeux se remplirent de larmes, son effervescence retombée pour être remplacée par le désespoir. Odd nota le changement, et continua sur un ton doux :

Mais je peux te donner quelques informations. La cicatrisation prendra deux à trois semaines, il faudra que tu viennes régulièrement ici pour que je change tes pansements et surveille particulièrement l'évolution de ta main droite. Les seules choses que tu as à faire sont de bien prendre les antalgiques que je vais te donner, d'hydrater tes mains si la peau commence à être sèche et à ne pas les exposer au soleil... ce qui ne risque pas de se produire.

Lone eut un pâle sourire à cette dernière phrase.

Alors, elle parla, longuement, de sa passion pour le violon ; des raisons pour lesquelles elle était venue dans cette école. Pendant de longues minutes, Odd l'écouta attentivement, sans mot dire.

Puis, quand ses phrases commencèrent à s'espacer, il la fit s'allonger sur un lit dont il ferma les rideaux.

Nous nous retrouvâmes ainsi tous les deux dans son bureau, seuls.

Je n'avais pas du tout envie de remonter en cours avec cette charmante Mme Sandor. De plus, Odd Nil m'intriguait.

Il fallait que je lance un sujet de conversation, ce pourquoi je n'étais pas très douée. Je n'avais en plus pas vraiment écouté le discours décousu et malheureux de Lone, absorbée que j'étais par mes pensées. Inattention que je regrettai maintenant, ne sachant pas quoi dire.

Si, le violon.

L'infirmier s'était assis à son bureau, et rangeait un dossier dans un tiroir. Je m'approchai et m'appuyai contre le lit qui se trouvait juste à côté.

J'espère qu'elle pourra rejouer du violon comme avant.

Odd ne réagit pas tout de suite, si bien que je crus qu'il ne m'avait pas entendue. Pourtant, sa voix s'éleva, grave, sans plus trace de chaleur aucune.

On pourrait parler d'amour pour Lone et son violon.

Un peu surprise par le terme, je répétai, interrogative :

D'amour ? (puis l'image de ses larmes abondantes et de son désespoir me revinrent) Oui, c'est vrai...

Il poursuivit, sur le même ton, le regard dans le vide.

Elle n'aurait pas dû l'aimer autant. L'amour n'est pas une rose, dont le parfum se devine entre les épines. (il leva les yeux vers moi) Derrière son apparence, l'amour n'est qu'épines et ronces.

Désemparée par la tournure inattendue que la conversation avait prise, je ne sus quoi répondre et restai silencieuse, méditant ces paroles fortes.

L'amour faisait-il systématiquement souffrir ? Pour Odd, cela semblait être ou avoir été le cas. Je repensai soudain au petit cadre. Balayant du regard le bureau, je ne pus que constater qu'il avait disparu.

Kathryx savait-elle à quel point Odd avait une vision pessimiste de l'amour ? Je ne pus m'empêcher d'avoir un pincement au cœur à cette pensée. J'espérais m'être trompée sur la raison de son attitude fébrile.

Mes parents aussi finalement avaient souffert à cause de leur affection mutuelle. Leur belle histoire d'amour s'était terminée par leur mort.

Même m...

Des coups à la porte interrompirent le fil de mes pensées, alors qu'Odd allait ouvrir.

Avant de tourner la poignée, il se tourna vers moi, arborant de nouveau son sourire d'usage, et s'exclama avec humour : 

Dis-donc ça s'enchaîne en ce moment ! Un vrai moulin cette infirmerie !

Selena - Les Lunes JumellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant