CXXVII. Larme De Cœur

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Electrokinésiste. A ce mot, de manière incompréhensible, tout mon être se remplit d'une joie profonde.

Un sourire béat involontaire étira mes lèvres tandis que mes yeux écarquillés admiraient la danse des éclairs autour de nos bras liés. Un élan inconsidéré soudain me prit.

Nikolas, lançai-je, je voudrais essayer quelque chose.

Sans attendre sa réponse, je pris sa main dans la mienne, paume contre paume, et tendant nos bras, les brandis en direction d'un nuage à quelque mètres de nous. Je me stoppai soudain.

Qu'est-ce que j'espérais ?

De la magie et des paillettes ?

...pourquoi est-ce que je faisais ça, surtout ?

J'étais sur le point de baisser ma main mais Nikolas m'arrêta d'un mot :

Regarde.

Je levai les yeux. Bien plus extraordinaire que de la magie féérique ou des paillettes, une multitude de petits éclairs bleutés grésillaient en face de nous, à côté du nuage visé.

Magnifique.

Mais ce n'était pas tout.

Nikolas resserra sa paume contre la mienne. Les éclairs devinrent un peu plus bleus et frétillèrent plus vite. Il rajoutait des volts. Je fis de même.

Conforme à mes attentes, les serpents pâlirent. Il se calmèrent aussi. Et s'allongèrent.

Je forçais, bloquant ma respiration, crispant mon autre main sur le bras de Nikolas, fermant à demi les yeux.

Je les rouvris.

Les éclairs s'allongeaient, coulant les uns sur les autres aléatoirement, s'épaississant et ralentissant de plus en plus. Leur luminosité ne cessait d'augmenter, se reflétant sur les nuages autour, et tout à coup, leurs mouvements désordonnés cessèrent.

Mon cœur battait à tout rompre sous l'effort et ma poitrine me brûlait.

Une image se formait. Figés, nos doigts collés crayonnaient, sans support, sans main directrice.

Un menton apparut, puis une bouche aux lèvres serrées et un nez droit. J'aurai reconnu ce visage entre mille.

J'avais l'original à quelques centimètres, en cas de doute.

Mais soudain, avant que le haut de sa figure ne se dessine, Nikolas lâcha ma main. Manquant de tomber, je m'agrippai bien vite à la première chose sous ma main.

Pataboum pataboum pataboum

Cette chose était le cœur de Nikolas.

Je levai brusquement les yeux vers lui. Il était immobile, le regard perdu dans le vide, en direction de l'endroit où s'était dessiné son visage. La lumière s'était évanouie, effaçant l'esquisse inachevée.

Et une unique larme coulait sur sa joue.

Je croisai son regard mais ne parvins pas à le déchiffrer. Cette larme était incompréhensible. Pourquoi ? ... était-ce... voir son visage qui le rendait ainsi ? C'était absurde, il ne pouvait pas pleurer à chaque fois qu'il se voyait dans le miroir !

J'entrouvris les lèvres :

Ni...

On descend ? proposa-t-il tranquillement, soutenant mon regard.

La première syllabe de son nom resta coincée dans ma gorge. J'étais stupéfaite : il ne venait pas de pleurer ? A l'instant ? Signifiait-il par-là qu'il ne voulait pas que l'on s'attarde sur ce qui venait de se passer ? Sous mes doigts, son cœur s'était calmé, reprenant un rythme normal. Il reprenait extrêmement vite contrôle de ses émotions. 

Enfin une chose qui lui ressemblait.

D'une certaine manière rassurée de le retrouver en quelque sorte dans ce détail, je décidai de feindre n'avoir rien remarqué.

Son amour-propre était sauf.

Je hochai la tête.

Oui, allons-y, les caméras doivent avoir arrêté de chercher.

Et sans petits serpents, le froid se faisait durement sentir.

Il eut un sourire en coin :

A contrario, elles disjoncteront "par accident".

Pratique d'avoir un Electrokinésiste sous la main, en effet. Ou d'en être un, me rappelai-je.

Je lâchai son cœur pour son bras et, nous cramponnant l'un l'autre, nous unîmes nos forces pour descendre au plus vite.

Il n'était pas encore sûr que je sois Electrokinésiste, et même si c'était le cas, je ne contrôlais rien pour le moment. Aussi, mettre hors d'état de nuire des caméras était mission impossible pour moi.

Nous nous séparâmes au-dessus du dortoir des filles. Le toit était plongé dans l'obscurité et je pus rejoindre ma chambre sans encombre.

J'étais congelée. Tellement, que l'eau pourtant froide du robinet me parut brûlante. Je me lavai le visage avant d'avoir plus froid encore. Alors que j'allais m'essuyer, je levai les yeux vers le vieux miroir rond qui surplombait le petit évier. Un instant, j'observai. Mes cheveux. Mes traits. Mes yeux.

Il fallait que je retire mes lentilles si je ne voulais pas que ces derniers s'irritent. Je ne les ôtais pas toutes les nuits mais ce soir, en changer était nécessaire, la journée avait été longue.

Quelques minutes plus tard, j'étais enfin sous ma couverture, quelque peu réchauffée. Aujourd'hui, des révélations, des incompréhensions, des émotions... le lot habituel.

Pourtant, quelque chose clochait.

La nuit m'appelait, j'étais à demi plongée dans les brumes du sommeil, ce qui perturbait ma réflexion.

Quelque chose clochait, mais quoi ?

Ma réflexion s'effilochait et je sombrai.

Selena - Les Lunes JumellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant