CLXXIV. La Morte Du Cauchemar

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Or, il n'y avait qu'une personne dans cette école qui pouvait être au courant de la décoration que j'avais prise, puis déposée comme chacun en bas de mon dortoir dans une panière recouverte d'un tissu opaque. C'étaient les chiens qui avaient eu pour mission d'accrocher les décorations au sapin.

Cette découverte m'embrouillait. Comme si c'était ce qu'il voulait. Et pourtant, il n'aurait pas pu se douter que je vienne à une heure pareille regarder le sapin et chercher ma broche. Non. Mais alors ? Pourquoi avoir acheté la même broche que moi et l'avoir tout de même accrochée ? C'était avant notre conversation du couloir, ce qui me provoquait en moi un doute quant à sa préméditation de me rejeter ainsi.

Cacher une broche identique derrière la mienne. Seul lui le savait, je n'aurais jamais dû le découvrir.

Je jetai la tête en arrière. Je ne comprenais plus rien. Ce détail, que je n'aurais pas dû remarquer, me disait l'exact contraire des photos de Daud déchirées. Poussant un grand soupir, je descendis de la chaise laborieusement, retrouvant la terre et la raison.

Demain, me soufflait cette dernière. Demain tu le verras.

La nuit porte conseil, dit-on. Je sortis donc discrètement de la Salle de Bal en direction de la chambre 397.

***

Une ombre. On dirait un homme. Je ne distingue pas son visage, dont les contours empruntent à l'ombre et à la lumière tour à tour. Je sais, je sens que c'est un prédateur. Mais je n'ai pas peur. Je regarde.

Comme si c'était déjà arrivé.

Je cligne des yeux, une fois, deux fois. Deux nouvelles personnes sont apparues. Elles sont devant l'ombre et se tiennent la main. Des époux ? Non, un frère et une sœur. C'étaient eux qui cachaient la silhouette, qui brille pourtant. Elle brille si fort. Plus fort qu'un soleil, plus blanc. J'ai les yeux qui me brûlent. Je les ferme.

Quand je les rouvre, il y a une femme, seule. Sur sa robe blanche, du sang, au niveau du cœur. Les mains qu'elle tient sur ses yeux m'empêchent de discerner ses traits. Elle est écroulée par terre et pleure.

Elle pleure comme si elle avait tout perdu. Chacune de ses larmes et chacune de ses lamentations me lacèrent le cœur. Sa douleur est palpable, oppressante. Sa souffrance embrase l'air et celui-ci coule, comme du sang, et se cristallise en touchant le sol.

Ma vision se trouble. Je touche mes joues, étonnée. Des larmes.

La femme se met à crier. Elle s'est levée et brandit son poing accusateur vers un point qui m'échappe.

- Je t'aimais ! J'aurais donné ma vie pour toi !

Cette plainte sonne comme un testament. La déclaration d'amour la plus triste qui soit. Ses forces la quittent, elle s'effondre, agonisante.

Tout devient noir. J'accours vers elle pour la soutenir mais mes mains passent à travers son corps.

Les yeux aveuglés par mes larmes qui coulent sans interruption, je crois voir ses lèvres bouger. Je me penche vers sa poitrine qui ne se soulève plus que par à-coups.

- Tu l'as tué, pousse-t-elle dans un dernière souffle.

Une lumière vive, puis l'obscurité.

Je me réveillai en sursaut, les cheveux collés aux tempes par la transpiration alors qu'il faisait quatorze degrés sous les combles. Je grelottai.

Une seule pensée cependant me hantait. Une sensation amère de déjà-vu.

J'avais déjà fait ce rêve. Et il se terminait toujours mal.

***

Je ne réussis pas à me rendormir et passais les quelques heures suivantes à étudier. Le petit matin arriva rapidement, ouateux.

J'avais l'impression que mon cauchemar avait duré la moitié de la nuit. J'étais crampée et il me semblait avoir pleuré toute la nuit, malgré qu'il n'y ait eu aucune trace de sel sur mes joues à mon réveil. J'étais lessivée émotionnellement, comme si les évènements de la veille n'avaient pas suffi.

L'eau glacée de l'évier et mes vêtements de la même température - malgré mon astuce de les glisser sous mon oreiller - arrachèrent quelques bribes de rêve qui s'accrochaient encore à moi.

Mes membres lourds de sommeil, je bravai le froid terrible. Il avait neigé toute la nuit et un épais manteau blanc recouvrait le parc, immobile et silencieux. D'une éclatante blancheur irréelle, presque agressive.

Au réfectoire, il n'y avait pas grand monde. Il n'y avait presque pas de bruit. Un silence lourd et angoissant qui me poussait à ressasser et me laissait seule avec moi-même.

Je me souvins alors que les cours avaient été banalisés pendant toute la matinée. Je mangeai rapidement mon petit-déjeuner, ne me sentant pas à mon aise dans la cantine quasi vide. C'était oppressant. J'étais sûre qu'on pouvait lire sur mon visage tout qu'il s'était passé ces dernières vingt-quatre heures. Mon cauchemar onirique et celui de la réalité.

Ma chambre et mes livres furent mon échappatoire jusqu'aux cours de l'après-midi, vers lesquels je me dirigeai sans rien dans le ventre, n'ayant aucune envie de répéter l'expérience désagréable de la solitude du matin.

Au détour d'un couloir, j'entendis un rire familier. Rarement entendu mais rapidement reconnu.

Selena - Les Lunes JumellesWhere stories live. Discover now